L'après Matignon : après la frénésie du pouvoir, le sentiment de vide des anciens Premiers ministres

Livres politiques · 23 oct. 2008 à 23:30

Ancien Premier ministre

Quand on a vécu plusieurs années à un rythme effréné, quand on a connu les dorures, le faste du pouvoir, l'absence de contraintes du quotidien pour se consacrer pleinement à son travail, comment vit-on l'après Matignon ? Que font les anciens Premiers ministres dans les jours qui suivent leur départ de Matignon ? Dans son livre, l'Enfer de Matignon, Raphaëlle Bacqué lève un coin du voile.


Série 9/9 : Après l'épreuve de Matignon...

Le sentiment de vide domine

La plupart des premiers ministres reconnaissent que la sortie de Matignon est un véritable choc. Pierre Mauroy évoque le "désoeuvrement", Michel Rocard parle d'un "choc psychologique majeur" précisant même que "la grande déprime est possible". C'est le retour à la réalité qui est difficile. Un Premier ministre travaille plus de 12 heures par jour. Il est choyé au quotidien par des "petits mains" qui le délivrent de tous les tracas de la vie quotidienne : transport, courses, cuisine, ménage. De l'avis même de Raymond Barre, à Matignon, les Premiers ministres sont dans un état de "lévitation", ils vivent à un niveau qui n'est pas "normal". Le retour au quotidien, à la vie réelle, peut donc s'avérer difficile.
Par exemple, Michel Rocard raconte qu'à sa sortie de Matignon, il n'avait même pas de bureau où aller. Il était toujours maire de Conflans mais pendant son passage à Matignon, son bureau avait été utilisé pour autre chose et la mairie fonctionnait très bien sans lui. "Du jour au lendemain, il a fallu inventer une nouvelle vie" confie également Dominique de Villepin.

La nécessité de prendre des vacances...

Première étape de cette nouvelle vie d'ancien Premier ministre, les vacances. Après des années à un rythme hebdomadaire de plus de 80 heures de travail, la fatigue physique et psychologique est réelle. Il faut donc décompresser. Pierre Mauroy a passé ses vacances à la piscine du camp militaire de Satory, pour "se laver de tous [les] soucis". Michel Rocard a pu compter sur un ami proche qui lui a prêté un bateau pour une croisière de trois semaines en Méditerranée. Pour fêter son départ, les collaborateurs d'Alain Juppé lui ont offert un séjour à Venise avec sa femme et sa fille. Jean-Pierre Raffarin est parti en Crète, Edith Cresson au Sénégal et en Arizona. Tous expriment la volonté de changer d'air, de quitter provisoirement la vie parisienne.

Les Premiers ministres qui ont bien vécu leur départ

Tous les Premiers ministres n'ont pas ressenti ce sentiment de vide. Tous ceux qui ont bien vécu leur départ se sont généralement remis au travail très vite. Ainsi, Edouard Balladur raconte l'après Matignon avec un certain détachement. Il s'est rapidement fait réélire député pour "continuer à travailler comme [il en a] toujours eu le goût, à réfléchir à un certain nombre de problèmes". Edith Cresson, après un passage éclair à Matignon (moins d'un an) a entamé aussitôt une reconversion professionnelle en créant une société pour aider les entreprises françaises à exporter dans les pays de l'Est. Quant à Laurent Fabius, son départ coïncide avec le début de la première cohabitation, en 1986, deux ans avant l'élection présidentielle. Le délai relativement court des prochaines échéances lui ont permis de se remettre en scelle très rapidement.

La vie après Matignon

A l'exception de Laurent Fabius, redevenu ministre de l'Economie dans le gouvernement de Lionel Jospin, aucun des anciens Premiers ministres n'a repris de fonction gouvernementale. Raymond Barre s'est présenté à l'élection présidentielle de 1988, mais sans succès. Pierre Mauroy s'est replié sur la mairie de Lille, Edouard Balladur est redevenu député et joue désormais un rôle clé auprès de Nicolas Sarkozy en assumant la présidence de commissions importantes (sur la réforme de la constitution, des collectivités locales), Michel Rocard s'est consacré à la construction européenne en devenant député à Strasbourg, Alain Juppé s'est rabattu sur la mairie de Bordeaux, après avoir perdu son mandat de député et effectué un passage express au ministère de l'écologie dans le premier gouvernement Fillon. Jean-Pierre Raffarin est retourné au Sénat sans parvenir à en devenir le président, Dominique de Villepin est devenu avocat. Quant à Edith Cresson, elle a quitté la vie publique.


Si l'après Matignon doit être préparé un minimum pour être bien vécu, un seul ancien Premier ministre n'a pas supporté la disgrâce : Pierre Bérégovoy. Après plusieurs mois de lynchage médiatique autour d'une obscure affaire de prêt, le dernier Premier ministre de gauche de François Mitterrand a sombré dans la dépression et s'est suicidé quelques semaines après son départ de Matignon.




- Raphaëlle Bacqué, L'enfer de Matignon, Albin Michel, septembre 2008, 300 pages
- Raphaëlle Bacqué et Philippe Kohly, L'Enfer de Matignon, DVD Arte Video

*** Liens

L'Enfer de Matignon
- Douze anciens Premiers ministres témoignent
- Président / Premier ministre : les relations tumultueuses du couple exécutif
- Le management d'un gouvernement : un rapport de force permanent
- Les Premiers ministres face à l'inertie de l'administration d'Etat
- La difficile gestion du temps pour un Premier ministre
- Les Premiers ministres face aux secrets et aux mensonges
- La vie à Matignon : dormir pour garder la forme, y habiter pour gagner du temps
- Le départ de Matignon : entre soulagement et regrets
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