Président / Premier ministre : les relations tumultueuses du couple exécutif

Livres politiques · 7 oct. 2008 à 23:20

Président et Premier ministre

Dans son livre-témoignage, L'enfer de Matignon, Raphaëlle Bacqué a voulu savoir quels rapports les présidents de la République et leur Premier ministre entretiennent-ils. Souvent complexes, les couples exécutifs peuvent collaborer de manière plus ou moins harmonieuse comme ce fut notamment le cas entre Pierre Mauroy et François Mitterrand ou Raymond Barre et Valéry Giscard d'Estaing. En revanche, certains couples connurent l'enfer : Michel Rocard et François Mitterrand n'est qu'un exemple parmi d'autres. La cohabitation n'a guère arrangé les choses...

Raymond Barre / Giscard : le couple tranquille

Raymond Barre s'est plutôt bien entendu avec Valéry Giscard d'Estaing. Tous deux ont travaillé dans un respect mutuel. Dans son témoignage, l'ancien Premier ministre donne l'impression de s'attribuer des bons points en affirmant que le Président avait de l'estime pour lui quand « par trois fois, il [l]'a confirmé dans [ses] fonctions ». La première fois, c'était au lendemain des élections législatives de 1978, alors qu'il était prévu que Raymond Barre cède sa place, Valéry Giscard d'Estaing le renomma Premier ministre. La deuxième fois, c'était en 1979, alors que les députés souhaitaient son départ, il fut défendu par le Président. La troisième fois, en 1980, tandis qu'il s'attendait à démissionner, après quatre ans au poste de Premier ministre, Giscard lui confirma son souhait de le garder à la tête du gouvernement jusqu'à la fin de son mandat. Et Raymond Barre d'affirmer : « j'en tire la conclusion qu'il avait tout de même confiance en moi ».

Jacques Chirac / Alain Juppé : le couple libre

Les différents Premiers ministres qui ont travaillé avec Jacques Chirac, qu'ils soient dans sa majorité comme Alain Juppé ou dans l'opposition comme Lionel Jospin, ont montré combien le Président de la République les avaient laissés très libres dans leurs décisions, quitte à se décharger de toute responsabilité : « Rétrospectivement, je finis pas me demander si cette liberté n'était pas même trop grande (...). Il aurait sans doute dû me cadrer davantage », conclut Alain Juppé. François Fillon analyse la situation d'un point de vue plus négatif encore : « Jacques Chirac, dans la deuxième partie de sa présidence, a poussé très loin, trop loin à mes yeux, cette distance, ce rôle d'arbitre comme si lui-même, au fond n'était pas engagé par les politiques que conduisait son gouvernement. Ce n'était pas sain et cela explique une partie de l'immobilisme en France »].

Un rapport de force permanent entre les deux têtes de l'exécutif

Toutefois, s'il est préférable que le Chef de l'Etat et le Chef du gouvernement travaillent dans la confiance, il faut également que le Premier ministre sache affirmer son autorité. C'est du moins l'avis de Laurent Fabius notamment qui se souvient avoir été nommé « très jeune » Premier ministre et que cela a constitué un « problème » parce qu'on le considérait comme « le directeur de cabinet du président de la République ». Il a donc dû expliquer à l'émission télévisée l'Heure de Vérité quels étaient les rôles de chacun des chefs de l'exécutif qu'il a formulé ainsi : « Lui c'est lui et moi c'est moi ».
Edouard Balladur a su tirer les leçons de la cohabitation entre François Mitterrand et Jacques Chirac. Il est nommé à la tête du gouvernement en toute connaissance de cause. Il sait que le Président de la République aime « manoeuvrer les gens. Et [lui, il] n'aime pas qu'on essaie de [le] manoeuvrer. Si bien qu'il a dû [le] trouver trop réservé, certainement. Et pas assez ouvert envers lui ». La première règle que le Premier ministre s'était fixée était de garder ses distances avec le Chef d'Etat afin d'affirmer son autorité. Ensuite, il a souhaité assister à toutes les réunions sans les déléguer à François Mitterrand. Enfin, s'ils n'étaient pas d'accord sur un sujet, ils trouvaient un arrangement avant le conseil des ministres. Ces différents éléments lui permirent ainsi de garder sa place et surtout son rôle de Premier ministre tout au long de la cohabitation.
Jean-Pierre Raffarin ne partage pas cette position. Selon lui, « le premier ministre n'avait pas d'autre légitimité que celle du président. C'est donc une autorité qui vient d'en haut ». D'ailleurs, ce rapport hiérarchique se perçoit dans le fait que Jean-Pierre Raffarin vouvoie Jacques Chirac tandis que celui-ci le tutoie.

Président / Premier ministre : qui dirige réellement ?

Les Premiers ministres ont des relations complexes avec le Président de la République : ils peuvent imposer leur autorité en tant que chef de gouvernement ou bien agir avec diplomatie.
François Fillon, encore en poste, se considère comme un arbitre. Pour lui, « le président de la République ne peut pas être l'homme du compromis, celui qui cherche sans cesser à concilier le point de vue du ministre de la défense et celui du ministre de l'éducation nationale ». Il est légitime que Nicolas Sarkozy « dirig[e] l'ensemble du gouvernement et de l'administration » estimant que « c'est la réalité des institutions de la République ».
Ce n'est pas le point de vue de Lionel Jospin qui au contraire n'a pas accepté que Jacques Chirac affirme à la télévision que malgré la cohabitation, il aurait le dernier mot sur tout. Selon l'ancien Premier ministre, cela « n'existe pas dans la Constitution ». Pour asseoir son autorité, il a rappelé au président de la République deux articles de la Constitution stipulant que le Premier ministre est le Chef du gouvernement et par conséquent doit conduire la politique de la nation de façon autonome et libre sans avoir l'autorisation du Chef de l'Etat.
Au lieu d'instaurer des tensions au sein du couple constitutif, Edouard Balladur a préféré agir auprès de François Mitterrand avec diplomatie. Malgré les paroles rassurantes du président lui affirmant qu'il ne serait qu'un notaire, le Premier ministre a jugé bon de prendre les devants demandant au Président de « ne pas [de] surprendre l'un l'autre », de s'informer des décisions de l'un et de l'autre afin d'éviter les couacs et les désaccords en public.


Chaque Premier ministre a donc connu des périodes plus ou moins houleuses avec le Chef d'Etat. Il a traversé les crises soit en affirmant son autorité ou bien au contraire en se retranchant derrière celui qu'il estime être son supérieur. Il a dû trouver sa propre stratégie pour collaborer de façon plus ou moins satisfaisante. Pour expliquer la grande complexité des rapports du président de la République et de son Premier ministre, Edouard Balladur montre que la Constitution « n'est pas très claire justement, puisqu'elle dit à la fois que le président de la République est le chef des armées mais, aussi que le premier ministre est responsable de la défense nationale. Elle dit à la fois que le président de la République négocie et ratifie les traités mais aussi que c'est le gouvernement qui détermine et conduit la politique de la nation ».

*** Liens

L'Enfer de Matignon
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