Les Premiers ministres face aux secrets et aux mensonges

Livres politiques · 17 oct. 2008 à 23:14

Secrets et mensonges à Matignon

Contrairement aux idées reçues, le chef du gouvernement n'est pas au courant de tout ce qui se passe, pas même des différentes actions des Services secrets qui peuvent se passer de son intermédiaire et traiter directement avec le Président de la République et le ministre de la Défense. Le Premier ministre peut se retrouver dès lors à assumer certaines conséquences de ces actions secrètes sans même en avoir été averti au préalable. C'est cette expérience pénible que rapportent les différents premiers ministres dans l'ouvrage de Raphaëlle Bacqué, L'Enfer de Matignon (Albin Michel).


Série 6/9 : Mensonges & Secrets d'Etat

Rainbow Warrior : comment assumer un mensonge ?

Dans la nuit du 10 juillet 1985, la DGSE, avec l'autorisation du ministre de la Défense, Charles Hernu, fait exploser un bateau de Greenpeace, le Rainbow Warrior, amarré en Nouvelle Zélande pour manifester contre les essais nucléaires menés par la France à Mururoa. Un photographe qui se trouvait à bord est mort. Le scandale éclate, et Laurent Fabius, en tant que Premier ministre est mis en cause. Comme il n'a donné aucun ordre à la DGSE et que le Président de la République ne l'a mis au courant de rien, il décide de faire venir dans son bureau Charles Hernu pour lui demander si le gouvernement a un quelconque rapport avec l'explosion du bateau et la mort du photographe. Le ministre de la Défense, sachant son poste en danger, nie sa responsabilité. Mais les journalistes enquêtent. De son côté, Laurent Fabius qui tient à sanctionner les personnes responsables de cette bavure fait appel à Bernard Tricot pour découvrir la vérité. En vain. Laurent Fabius demande alors l'intervention de François Mitterrand qui contacte de nouveau Charles Hernu qui persiste à nier son implication dans l'affaire du Rainbow Warrior.
Finalement, le Premier ministre a fait un courrier aux trois responsables principaux de l'armée pour leur demander de jurer sur l'honneur qu'ils n'ont aucune implication dans l'affaire. Un seul, le chef des services de l'armée, l'Amiral Lacoste a avoué à demi-mot. Aussitôt, Laurent Fabius a obtenu la démission de l'Amiral Lacoste et de Charles Hernu.
L'ancien Premier ministre garde un souvenir amer de cet épisode réalisant que le ministre de la Défense et certainement aussi le président de la République n'ont cessé de lui mentir pour camoufler la responsabilité du gouvernement dans une bavure qui a eu des conséquences internationales.

L'affaire Schuller-Maréchal : un scandale qui a plombé la candidature d'Edouard Balladur

Edouard Balladur est persuadé que le ministre de l'Intérieur est celui qui en sait le plus sur les différentes affaires de la France. Il est tenu, normalement, d'en informer le Premier ministre ou le président de la République mais parfois, pour ses intérêts personnels, il peut décider de se passer de cette obligation. C'est ce qui se passa notamment avec Charles Pasqua qui manigança pour protéger ses amis en profitant de sa position de ministre de l'Intérieur. Celui-ci a comploté un scénario complexe pour mettre en cause l'intégrité du juge Alphen qui s'intéresse de trop près aux financements du RPR. Il découvre ainsi que Didier Schuller a une utilisation quelque peu trouble de l'argent qui finance son journal de Clichy-sur-Seine. Charles Pasqua qui veille à protéger les intérêts du RPR, va tenter d'écarter le juge Alphen. Il imagine un scénario : Didier Schuller connaît le beau-père du juge, c'est un médecin, Jean-Pierre Maréchal. Il lui promet de l'argent pour influencer Eric Alphen. Charles Pasqua a donc voulu piéger le juge en possession d'une mallette contenant 1 million de francs.
Dès que le scandale a éclaté, les médias ont demandé des comptes à Edouard Balladur qui a juré ne rien savoir de l'affaire, persuadé que les choses s'étaient passées de manière régulière. Or, très vite, il apparaît que Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur et fidèle soutien de Balladur pendant la présidentielle, a tenté une manipulation politique.
Même si Edouard Balladur n'y est pour rien, sa position le place en première ligne. Cette affaire une fois réglée a coûté cher au Premier ministre : elle lui aurait valu, selon lui, son élection à la présidence de la République.


Le Premier ministre qui devrait être la personne la mieux informée de France se voit souvent contraint d'assumer des actions dont il n'est pas au courant. Quand au coeur du pouvoir, le chef du gouvernement est doublé par ses propres services ou ses ministres, la machine gouvernementale s'enraye et le Premier ministre est désigné, à tort ou à raison, comme le principal responsable.



- Raphaëlle Bacqué, L'enfer de Matignon, Albin Michel, septembre 2008, 300 pages
- Raphaëlle Bacqué et Philippe Kohly, L'Enfer de Matignon, DVD Arte Video

*** Liens

L'Enfer de Matignon
- Douze anciens Premiers ministres témoignent
- Président / Premier ministre : les relations tumultueuses du couple exécutif
- Le management d'un gouvernement : un rapport de force permanent
- Les Premiers ministres face à l'inertie de l'administration d'Etat
- La difficile gestion du temps pour un Premier ministre
- Les Premiers ministres face aux secrets et aux mensonges
- La vie à Matignon : dormir pour garder la forme, y habiter pour gagner du temps
- Le départ de Matignon : entre soulagement et regrets
- L'après Matignon : le sentiment de vide des anciens Premiers ministres

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