Le management d'un gouvernement : un rapport de force permanent

Livres politiques · 8 oct. 2008 à 23:24

Management du gouvernement

Un Premier ministre en tant que chef de gouvernement doit diriger les différents ministres qu'il a désignés. Dans l'Enfer de Matignon de Raphaëlle Bacqué, les premiers ministres rapportent qu'il leur faut à la fois mener avec autorité leur gouvernement mais aussi éviter les pièges que leur tendent leurs ennemis pour prendre leur place.

Trois formes différentes de management : Balladur, Juppé, Raffarin

Parmi les premiers ministres interrogés, l'un d'eux semble être parvenu à tirer son épingle du jeu : Edouard Balladur. Aux dires de François Fillon, Edouard Balladur est le Premier ministre le plus affable et le plus à l'écoute de ses collaborateurs. Il a travaillé dans son gouvernement quand il était ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Selon lui, c'était un Premier ministre très efficace car non seulement, il faisait des réunions ne dépassant pas une heure mais surtout, quand un de ses collaborateurs le contactait pour lui exprimer un problème à propos d'un dossier délicat, Edouard Balladur acceptait de le rencontrer dans la journée.
En revanche, François Fillon n'a guère apprécié de travailler avec Alain Juppé qui avait des manières beaucoup plus brutales que son prédécesseur, ne prenant pas le temps de recevoir ses collaborateurs encore moins d'expliquer les décisions qu'il prenait.
Enfin, s'il est un Premier ministre qui selon François Fillon n'a pas su se montrer à la hauteur de sa fonction, c'est Jean-Pierre Raffarin, qui « donnait le sentiment de ne pas être en mesure de trancher les sujets. Soit parce qu'il ne voulait pas le faire, soit parce qu'il voulait que le président de la République le fasse ». Ce manque d'efficacité aurait ainsi conduit certains membres de son gouvernement à se rendre directement à l'Elysée rencontrer Jacques Chirac pour obtenir des réponses plus rapidement.

Trahi par son propre camp : le cas de Raymond Barre et Edith Cresson

Le poste de Premier ministre, si difficile soit-il, est fort jalousé. Il arrive parfois qu'un Premier ministre soit trahi par l'un de ses collaborateurs ou membre du parti. C'est ce qui arriva à Raymond Barre en 1978, quelque temps avant les élections législatives. Au cours d'un dîner privé entre les Chirac et les Barre à Matignon, le Maire de Paris révèle au Premier ministre que le RPR compte saboter les élections législatives de Valéry Giscard d'Estaing afin de conserver la majorité à l'Assemblée nationale. Or, pour parvenir à cet objectif, le RPR compte attaquer frontalement Raymond Barre. Pendant plusieurs mois, la majorité a donc passé son temps à critiquer la politique menée par le gouvernement car « affaiblir le gouvernement, c'était affaiblir le président de la République ».
De son côté Edith Cresson n'est pas tendre avec Pierre Bérégovoy alors ministre de l'Economie. Les deux personnalités politiques ne s'estimaient pas. Pierre Bérégovoy ne comprenait pas la décision de François Mitterrand de nommer cette femme à la tête du gouvernement. Finalement, ils furent obligés de s'accommoder mais le Premier ministre garde un très mauvais souvenir de ces mois où Pierre Bérégovoy passait son temps à la dénigrer dans les médias. Selon elle, « il n'a jamais cessé de jouer contre [elle] et [son] gouvernement ». Mais elle va beaucoup plus loin dans ses déclarations en affirmant : qu'une fois qu'il fut nommé Premier ministre à sa place, [q}« il n'a cessé de ruminer qu'il était arrivé à Matignon trop tard. Et c'est en partie cela qui l'a rendu, les derniers mois de sa vie, si amer... »


Les témoignages des anciens Premiers ministres sur le management d'une équipe gouvernementale montrent tous que la vie politique, même à l'intérieur d'un même parti, fonctionne par rapport de force. Un Premier ministre doit pouvoir dominer ses ministres, et ceux-ci, s'ils veulent se faire entendre, doivent pouvoir s'imposer. C'est le rapport de force teinté d'une certaine forme de confiance pour assurer un minimum de cohérence gouvernementale qui caractérise le management d'une équipe ministérielle.


Raphaëlle Bacqué, L'enfer de Matignon, Albin Michel, septembre 2008, 300 pages

*** Liens

L'Enfer de Matignon
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