Mobilier national : 16 000 oeuvres prêtées aux ministères sont portées disparues

breve · 7 avr. 2008 à 22:30

Mobilier national

Et si l'Etat faisait des économies en récupérant le mobilier national accaparé par les anciens ministres ?


Politique.net propose une série sur l'argent du pouvoir en 30 épisodes : Quel est le coût des déplacements présidentiels ? Comment un élu de 6000 habitants peut-il cumuler 7000 euros de revenus ? Comment 16 000 pièces du mobilier national ont-elles pu disparaître des ministères ? A chaque fois, les sources sont publiées en bas de page et les estimations recoupées à partir de plusieurs enquêtes pour essayer de s'approcher au plus près de la réalité.

Episode 9 : Quand les ministres se servent au moment de leur départ...

Argent du pouvoir

Les ministres empruntent des pièces au Mobilier national

Les ministres ont parfois préservé quelques privilèges issus de l'Ancien Régime. Par exemple, celui de pouvoir choisir leurs meubles dans leur ministère. A chaque remaniement de gouvernement, les ministres peuvent changer leur bureau, leur table et tout autre mobilier si les meubles en place ne leur conviennent pas. Mais les ministres ne s'équipent pas chez IKEA. Ils ont le privilège de pouvoir choisir des meubles mis à la disposition par le "Mobilier national".
Cette institution est l'ancêtre de du "Garde-meuble de la Couronne" sous l'Ancien Régime et a en charge la gestion des meubles, des oeuvres d'art, tapisseries, objets de collection, détenus par l'Etat. Le Mobilier national compte environ 200 000 pièces qui datent pour la plupart de l'époque moderne : tapisseries des Gobelins, fauteuil Louis XVI, secrétaires. Il existe aussi un mobilier plus récent commandé à des artistes pour compléter la collection du XXe siècle : vases de Chine, guéridons Art Déco, commodes en bois rare...

Des dépôts soumis à une règlementation non respectée

Les ministres ont donc tout le loisir de se servir dans le catalogue du Mobilier national. On dit alors que les pièces sont mises en dépôt. Ces prêts sont strictement encadrés par la loi. Ainsi, les dépôts ne doivent concerner que les pièces de réception officielles, les bureaux des personnels des membres du gouvernement et de leurs directeurs de cabinet. Depuis un décret de 1980, les pièces antérieures à 1800 ne peuvent plus être empruntées. Et chaque année, le ministère doit faire un état des lieux du mobilier prêté et transmettre ce rapport au Mobilier national. Ces oeuvres appartiennent à l'Etat et doivent être restituées lorsqu'un nouvel arrivant veut se débarrasser des pièces de son prédécesseur. En réalité, cette règlementation n'est jamais respectée : des collaborateurs gardent quelques pièces au moment de leur départ, plus de 1200 dépôts concernent des oeuvres antérieures à 1800, et les ministères envoient très rarement leur rapport annuel de l'état des prêts.

16 000 oeuvres sont portées disparues

Au final, ce sont près de 16 000 oeuvres qui seraient portées disparues. Par exemple, près de 1500 pièces n'ont pas été retrouvées au ministère de la Défense. Plus de 500 pièces sont entreposées à l'Elysée sans que le mobilier national ne sache exactement où sont ces objets. Normalement, l'institution est chargée de gérer ces prêts et de veiller à ne pas perdre la trace des meubles. Mais selon un rapport de la Cour des comptes de la fin des années 1990, seuls six inspecteurs sont employés à temps plein pour visiter les ministères. Et à chaque fois, leur inspection est compliquée par les services des ministères concernés qui voient d'un mauvais oeil leur arrivée. Au final, le Mobilier national peine à connaître la destination de ces oeuvres, en raison de la mauvaise coopération des ministères.

Un laisser-aller dénoncé par la cour des comptes depuis 30 ans...

Depuis 1980, la Cour des comptes multiplie les rappels à l'ordre et dénonce le laisser-aller du Mobilier national. Des rapports en 1984, 1992, 1997 constatent l'absence de volonté politique de mettre un terme à cette dérive. En 1992, la Cour des comptes s'est elle-même chargée du contrôle de trois ministères secondaires : la Santé, le Travail, et les Affaires sociales. Aucun de ces trois ministères ne respectait la réglementation. Et les objets manquants étaient évalués à l'époque à près de 740 000 francs. Une vitrine Louis XVI, d'une valeur de 300 000 francs, était notamment manquante.
Très rarement, le Mobilier national poursuit en justice les collaborateurs indélicats qui se sont offerts une pièce au moment de leur départ. Même lors de vols avérés, les administrations ont beaucoup de réticences à porter plainte. Ces vols sont facilités par le déplacement régulier de ces pièces sans que le Mobilier national n'en soit informé. Ainsi, il n'est pas rare qu'un collaborateur changeant de ministère emporte avec lui son bureau Louis XV. Dans ce cas de figure, il ne s'agit pas de vol, mais d'un simple déplacement de mobilier. Faute de déclaration officielle, il est alors difficile pour le Mobilier national d'en retrouver la trace. Rien n'empêche alors un ministre de l'offrir à son collaborateur au moment de son départ en guise de remerciements pour le travail accompli. Dans ce cas de figure, les services des ministères préfèrent plutôt parler de "négligence" dans la gestion plutôt que de "vol". Question de point de vue.



*** Source
- Vincent Quivy, Abus de pouvoir, "Chapitre 1 : les palais de la République", Editions du moment, 2007

*** Liens

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7. Les ministères : des anciens hôtels de la noblesse d'Ancien Régime
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