Le tabou de l'argent du pouvoir

breve · 21 jan. 2008 à 23:40

Argent du pouvoir

Dans une démocratie, la transparence a des limites. Dès qu'il s'agit des questions de l'argent du pouvoir, l'opacité la plus complète est la règle. C'est seulement en période de cohabitation ou quand la presse révèle quelques scandales politico-financiers que le pouvoir se retrouve contraint de revoir ses modes de financement. Par exemple, c'est à l'initiative de Lionel Jospin que les fonds secrets ont été officiellement supprimés, mettant fin à une période où les conseillers étaient rémunérés en argent liquide, sans aucun contrôle. Ce sont les révélations du Canard Enchaîné sur le logement de luxe du ministre de l'économie de l'époque, Hervé Gaymard, qui ont poussé le gouvernement à mieux encadrer les conditions d'attribution de logements de fonction.

Les candidats aux élections présidentielles promettent toujours plus de transparence. Mais une fois au pouvoir, l'Elysée, Matignon, les ministères rechignent à jouer le jeu de la transparence des comptes. Des sommes circulent mais aucun détail des dépenses n'est connu. Or, la transparence est une exigence car ces fonds utilisés proviennent du contribuable.


L'omerta qui règne sur ces questions d'argent complique le travail d'investigation des journalistes. Pour autant, certains chiffres commencent à circuler dans la presse, quelques ouvrages sont publiés sur la question. Politique.net propose donc une synthèse de tous ces chiffres dans une série consacrée à l'argent du pouvoir en 30 épisodes : Quel est le coût des déplacements présidentiels ? Comment un élu de 6000 habitants peut-il cumuler 7000 euros de revenus ? Comment 160 000 pièces du mobilier national ont-elles disparu des ministères ? A chaque fois, les sources sont publiées en bas de page et les estimations recoupées à partir de plusieurs enquêtes pour essayer de s'approcher au plus près de la réalité.

Episode 1 : Argent du pouvoir, la loi du silence

Le budget de l'Elysée : 30 millions d'euros en 2007, 100 millions d'euros en 2008

En douze ans de mandat de Jacques Chirac, le budget de l'Elysée a été multiplié par neuf. Raison officielle : la fin des fonds secrets, ces enveloppes d'argent liquide qui servaient à rémunérer les conseillers et à financer certaines dépenses sans aucun contrôle. Mais il est impossible de savoir réellement si cette augmentation du budget est uniquement liée à la fin des fonds secrets.
En 2007, le budget de l'Elysée était officiellement de 31 783 600 euros. En 2008, il passera à 100 millions d'euros.
Selon les services de l'Elysée, ce triplement du budget est lié à une réorganisation du financement de la présidence. Jusqu'à présent, l'essentiel du personnel employé était payé par les autres ministères. Ces fonctionnaires étaient détachées et payées par leurs administrations d'origine. Pour une plus grande cohérence, il a donc été décidé que tout personnel travaillant à temps complet pour l'Elysée serait payée sur le budget de l'Elysée. Le triplement du budget 2008 correspond donc à la réintégration de près de 800 personnes. Parmi ces 800 fonctionnaires, on compte des militaires, des cuisiniers, des agents d'entretien, des jardiniers. Selon les chiffres officiels, l'Elysée emploie au total 957 personnes.

Le budget des ministères : 528 millions d'euros de crédits

En France, ce sont les services du Premier ministre qui distribuent les enveloppes budgétaires aux différents ministères. En pleine polémique sur la situation financière réelle du pays, François Fillon avait du se justifier suite à ses propos chocs prononcés en Corse : "Je suis à la tête d'un Etat en faillite". Revenant sur ses propos pour préciser ce qu'il entendait par faillite, le Premier ministre avait rappelé que depuis plus de 25 ans, les gouvernements successifs présentaient des budgets en déséquilibre. La dette dépasse les 1000 milliards d'euros. Sur RTL, François Fillon avait donc déclaré qu'il voulait montrer l'exemple en décidant de "plafonner les dépenses des ministères". Pour l'auditeur, cette déclaration signifiait que les ministères allaient limiter leurs dépenses. Or, le projet de loi de finances de 2008 prévoit 528 millions d'euros de crédits pour l'ensemble des ministères, c'est-à-dire exactement le même montant qu'en 2007. Il n'y a donc aucune économie de réaliser.

L'opacité des comptes : personne n'a intérêt à jouer le jeu de la transparence

L'Elysée et Matignon rendent donc public leur budget global. Mais dès qu'il s'agit de connaître le détail des dépenses, c'est le flou le plus total. Il existe un institut spécialisé dans la recherche sur les administrations publiques (IFRAP). Les membres de cet institut de recherche sont systématiquement confrontés au tabou des dépenses des administrations. Pourquoi cette opacité ? Personne n'a intérêt à cette transparence car ce sont les mêmes qui contrôlent les recettes et les dépenses. Par exemple, d'un point de vue constitutionnel, le Parlement peut exiger de connaître le montant des revenus versés aux membres des cabinets ministériels mais le gouvernement ne donne à chaque fois qu'une estimation du montant moyen des revenus versés. Cette absence de transparence offre une grande liberté au pouvoir exécutif pour utiliser ces fonds publics, quitte à laisser planer la suspicion sur d'éventuelles dérives.


Demain, épisode 2 : La directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy part à la chasse aux gaspis

*** Liens

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