Eric Woerth, portrait d’un ministre au cœur d’une tempête médiatique

Enquête · 10 juil. 2010 à 15:31

Portrait d'Eric Woerth

Depuis trois semaines, le ministre du Travail, Eric Woerth, est au coeur d'une tempête médiatique suite aux révélations du site Mediapart sur de supposés versements en liquide de la milliardaire, Liliane Bettencourt, à l'UMP pour la campagne présidentielle de 2007. Entre financement illégal et évasions fiscales, Woerth est le principal mis en cause en raison de son double statut d'ancien ministre du Budget et de trésorier de l'UMP.

Si, pour l'instant, Eric Woerth a reçu un soutien sans faille de la part de l'Elysée et de la majorité présidentielle, il ressort très affaibli après trois semaines de révélations, à tel point que certains estiment qu'il n'a plus la capacité de porter la réforme des retraites.


Portrait.

Origines et formation

Éric Woerth est né le 29 janvier 1956 dans l'Oise, à Creil. Issu d'un milieu modeste, il vit avec sa famille dans un HLM. Son père est médecin de travail. Très jeune déjà, il dit s'intéresser à la politique « Mon premier engagement politique a été d'aller défiler sur les Champs-Elysées pour soutenir de Gaulle en 1968. J'avais douze ans (...). C'est probablement ce qui m'a le plus marqué, qui m'a donné envie de continuer ».
Mais c'est véritablement en 1981 que Éric Woerth s'engage politiquement : « J'ai adhéré au RPR immédiatement après l'élection de François Mitterrand. Je me souviens d'une longue file sur le trottoir devant le siège. Le type qui m'a donné ma carte m'a dit : « Vous, je sens que vous continuerez à faire de la politique » ».
Après avoir obtenu son baccalauréat, il intègre l'école commerciale HEC puis les Sciences Politiques de Paris. Après ses études, il est recruté comme auditeur par une entreprise nationale, Pechiney puis il entre au cabinet Arthur Andersen comme chef de mission à la direction financière avant d'être nommé directeur de l'Agence pour le développement dans l'Oise. Entre 1990 et 1993, il prend la direction du département conseil aux collectivités locales dans un nouveau cabinet : Bossard Consultants.

Sa rencontre avec son mentor, Alain Juppé

Parallèlement à sa carrière professionnelle, il s'intéresse à la politique. Il entre dans les instances du RPR au début des années 1990 en tant que spécialiste des questions financières. Il est nommé dès 1993, directeur financier et administratif du RPR. Il est trésorier de la campagne du candidat Jacques Chirac à l'élection présidentielle. Deux ans plus tard, il fait la connaissance de celui qui deviendra son mentor, Alain Juppé : le Premier ministre en fait son conseiller parlementaire. Il conserve ce poste jusqu'en 1997. En 2002, il est nommé trésorier de l'UMP.

Ses premiers pas d'élu en Picardie et l'affaire de l'ADO

Originaire de Creil et développant différents projets professionnels dans l'Oise, Eric Woerth choisit la Picardie pour y établir son fief. Pourtant la tâche ne sera pas facile. Il se présente plusieurs fois, en vain, dans sa ville de Creil dès le début des années 1980 mais ne parvenant à se faire élire, il décide alors de se présenter à Chantilly. Il entre comme conseiller municipal. Pourtant, un arrêt du 26 janvier 1990 du Conseil d'État annule son élection parce que sa fonction de directeur de l'Agence de développement de l'Oise ne serait pas compatible avec celle de conseiller municipal .

Le 12 décembre 1992, un rapport de la chambre régionale des comptes de Picardie pointe de nombreuses irrégularités. Créée en 1986, l'Agence de développement de l'Oise pèse lourd puisqu'elle est chargée de « l'impulsion, la coordination et la cohérence de toutes les actions concourant au développement départemental », ainsi que de l'ensemble des crédits d'interventions économiques de la collectivité locale. Pourtant le tribunal administratif d'Amiens le 1er décembre 1987 affirme qu'il est interdit de confier de telles attributions à une association régie par la loi de 1901. Le rapport montre que « la gestion de l'ADO au cours de la période examinée avait été dispendieuse, pour des actions dont l'intérêt, dans le cadre de l'action économique du département, était souvent discutable, et dont la mise en oeuvre était parfois improvisée ». Enfin, le rapport montre que les salaires des agents de l'ADO ont été largement augmentés : « Après deux augmentations de 25,7% et 18,9% intervenues en juillet 1987 et janvier 1989, le salaire brut mensuel de monsieur Eric Woerth a été porté de 23 400 francs en juin 1986, date de son recrutement, à 35 000 francs en janvier 1989. [...] A cette rémunération mensuelle, il convient d'ajouter les trois primes de fin d'année de 23 400 francs, 29 418 francs et 29 418 francs, qui lui ont été versées au titre des exercices 1986, 1987 et 1988. Monsieur Eric Woerth disposait également d'une voiture de fonction, ce qui n'était pas prévu dans son contrat de travail ».

Pour pouvoir être de nouveau éligible, Éric Woerth décide de quitter l'ADO et reçoit une prime de fin de contrat de 175 000 francs.

Maire en 1995, député en 2002

Dès 1992, il est élu conseiller régional RPR. Il se présente en 1995 à la mairie de Chantilly et remporte l'élection contre le centriste Philippe Courboin. En 2002, il parvient à se faire élire député de l'Oise. Quand il est nommé au gouvernement en 2004, Eric Woerth décide de céder son mandat de maire pour celui de premier adjoint. En juin 2007, il est réélu député dès le premier tour avec 57,40 % des suffrages, mais nommé ministre du Budget dans le gouvernement de François Fillon, il cède sa place à son suppléant, Christian Patria.

Président du club de la Boussole

Fin spécialiste des questions financières, il connaît parfaitement les arcanes des dépenses politiques. Il décide de fonder en 2002 un groupe de réflexion : la Boussole. Il en est le président. La Boussole réunit trente-huit députés UMP réformistes. Les objectifs sont divers et diffèrent selon le contexte politique. D'abord, la Boussole est un simple lieu de rencontre entre chiraquiens, libéraux et centristes. Ensuite, elle veille à ce que le président de la République, en l'occurrence Jacques Chirac à l'époque, applique bien les promesses qu'il a faites pendant sa campagne électorale. Enfin, lors de la cohabitation avec le gouvernement Lionel Jospin, elle est attentive au respect de l'application des décisions du président. La Boussole est un groupe qui se veut proche de Jacques Chirac et de Jean-Pierre Raffarin. Celui-ci ne l'oubliera pas au moment de constituer son gouvernement.

Secrétaire d'Etat de la réforme de l'Etat (2004-2005)

Jean-Pierre Raffarin n'a pas oublié le soutien d'Eric Woerth en tant que président de la Boussole. Quand il forme son troisième gouvernement en mars 2004, il le nomme Secrétaire d'Etat de la réforme de l'Etat. Il est chargé de faire appliquer la décision gouvernementale de ne pas remplacer la moitié des fonctionnaires qui partent à la retraite dans le but de faire des économies. Contrairement à ce qu'il espère, Dominique de Villepin ne l'a pas reconduit à son poste quand il arrive à la tête du gouvernement en 2005. La raison était purement politique : Villepin souhaitait se débarrasser des juppéistes.

Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique entre 2007 et 2010

Dès 2002, Eric Woerth a commencé à se rapprocher de Nicolas Sarkozy tout en demeurant fidèle à Alain Juppé. Quand Sarkozy s'empare de l'UMP en 2004, il le maintient au poste de trésorier du parti. En 2007, Sarkozy le nomme trésorier de la campagne, comme autrefois avec Jacques Chirac. Quand François Fillon forme son gouvernement, il pense au spécialiste des finances qui s'est mis au service du RPR/UMP depuis plus de vingt ans. Il nomme donc Eric Woerth ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique qui doit dès lors travailler de concert avec la ministre de l'Economie. Il est notamment chargé de s'occuper de la fusion des directions générales des impôts et de la comptabilité publique.

En tant ministre du budget, Éric Woerth décide de partir en croise contre la fraude fiscale. Dans une interview au Journal du Dimanche, le ministre prévient : « Nous avons récupéré les noms de 3 000 contribuables détenteurs de comptes dans les banques suisses dont une partie correspond très probablement à de l'évasion fiscale. Ces comptes sont ouverts dans trois banques et représentent des avoirs à hauteur de 3 milliards d'euros. C'est la première fois que nous avons ce type d'informations, précises, avec les noms, les numéros de comptes et les montants en dépôt. C'est exceptionnel. » Les personnes concernées ont eu, selon le souhait de Woerth, jusqu'au 31 décembre 2009, pour régulariser spontanément leur situation. Il décide également d'utiliser la liste des détenteurs français des comptes bancaires suisses non déclarés. Cette décision suscite une forte polémique au sein même de la majorité.

Ministre du Travail et de la Solidarité depuis mars 2010

Au lendemain de la défaite aux élections régionales, Xavier Darcos est mis de côté et doit céder sa place de ministre du Travail et de la Solidarité à Éric Woerth. Sa mission principale : réformer le système de retraites. Pourtant, au moment où le débat sur le sujet bat son plein, une polémique éclate : l'ancien trésorier de l'UMP et de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy aurait bénéficié de la générosité du couple Bettencourt. De l'argent liquide serait passé entre ses mains pour financer son propre parti à Chantilly, la campagne du candidat à la présidentielle et l'actuel chef d'État. C'est le journal en ligne Mediapart qui révèle en premier l'affaire aussitôt rejoint par les autres médias. Son épouse, qui s'occupait jusqu'alors de la gestion de la fortune de Liliane Bettencourt, démissionne de son poste. Mais, cette démission n'apaise pas les nombreuses polémiques suscitées par cette affaire. Chaque jour, les différents médias font de nouvelles révélations : Bettencourt reconnaît avoir des comptes en Suisse (la femme d'Eric Woerth assure ne pas être au courant), le fisc lui a fait un chèque de 30 millions d'euros dans le cadre du bouclier fiscal, la milliardaire aurait financé, selon les écoutes du majordome, les campagnes de Sarkozy, Woerth et Pécresse...

Malgré ces nombreuses accusations et la cascade de révélations, Nicolas Sarkozy maintient Woerth coûte que coûte au gouvernement car la démission du ministre du Travail serait un signe de désaveu et mettrait en péril la réforme des retraites.


Par Anne-Sophie Demonchy


*** Quelques sources
- Judith Waintraub, « Éric Woerth, le pilote de l'allègement de l'État » in Le Figaro du 20/11/2007
- « Éric Woerth: ministre du Budget, des Comptes publics», in Lesechos.fr du 18/05/2007
- Ivan Best, « Eric Woerth, ministre du budget », in Challenges du 26/06/2008

*** Liens

L'affaire Bettencourt
- Comment Eric Woerth s'est retrouvé au coeur de l'affaire Bettencourt
- Woerth a son propre parti : sans adhérents mais avec de multiples financements
- Woerth savait-il que le fisc avait remboursé 30 millions d'euros à Liliane Bettencourt ?
- Affaire Bettencourt : 388 000 euros retirés en liquide entre janvier et avril 2007
- Des enveloppes d'argent à l'accusation de fascisme : l'affaire Woerth s'emballe au bout de la 3ème semaine de révélations

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