Sarkozy et les médias : l'information neutralisée par la communication politique

Enquête · 21 sep. 2007 à 20:01

Sarkozy et les médias

Hyperprésidence, omniprésence médiatique, tels sont les qualificatifs qui reviennent le plus souvent à propos des premiers mois de Nicolas Sarkozy à l'Elysée. Le chef de l'Etat est partout, il s'occupe de tout. Et la presse en redemande comme en témoignent les Unes des hebdomadaires (Le Point, L'Express, le Nouvel Observateur) : Nicolas Sarkozy et les patrons, Nicolas Sarkozy et l'argent. Quand ce n'est pas le chef de l'Etat en Une, ce sont ses proches : "Le mystère Cécilia", "le problème Cécilia", "Claude Guéant, l'homme le plus puissant"...
Les papiers sur Nicolas Sarkozy font vendre, les hebdomadaires en profitent. Le problème pour la presse quotidienne est différent. Le président de la République multiplie les interventions médiatiques, un jour = un événement. Le rythme des journalistes qui suivent le président est très élevé. Toutes les 24 heures, un sujet en chasse un autre. Dès lors, si les journalistes veulent suivre la cadence, le recul nécessaire n'est plus possible, les dossiers ne sont plus approfondis et l'information devient de la simple communication politique. Comment et pourquoi Nicolas Sarkozy parvient-il à monopoliser la sphère médiatique ? En quoi l'information est-elle paralysée par la communication politique ?

Principe de la communication politique "moderne"

Nicolas Sarkozy applique à l'Elysée ce qu'il avait fait au ministère de l'Intérieur et au ministère de l'Economie entre 2002 et 2007. Devenu expert de la communication politique, le chef de l'Etat s'inspire du modèle anglo-saxon inventé par Tony Blair. Le principe est assez simple : pour rester maître de l'agenda politique et éviter d'être malmené, il faut nourrir la machine médiatique : créer un événement chaque jour, tout doit être visible et donner lieu à des images pour les télévisions. En Angleterre, les communicants ont une expression pour désigner cette stratégie : il faut "faire la météo", c'est-à-dire occuper l'espace, créer l'actualité et obliger les autres à vous suivre.
Aujourd'hui, gouverner, c'est d'abord communiquer : marteler le message, parler des problèmes concrets afin d'obtenir le soutien de la population. Nicolas Sarkozy parle simplement au risque de paraître simpliste et s'adresse avant tout à l'opinion publique.
La gauche n'a pas encore compris cette évolution. Lorsque Ségolène Royal évoque "l'économie de la fonctionnalité", ou lorsque le PS organise une "Université d'été" avec comme slogan "Diagnostic pour la rénovation", le message parait obscur. Désormais, la communication politique "moderne" implique un "parler vrai", c'est-à-dire l'obligation d'être concret.
En outre, en communiquant tout le temps, en imposant un rythme infernal, le pouvoir parvient aussi à neutraliser les médias.

Un sujet en chasse un autre toutes les 24 heures

Nicolas Sarkozy applique parfaitement le modèle anglo-saxon de communication politique. Chaque jour, il traite d'un nouveau dossier : régimes de retraite, fonction publique, peines planchers, allégements fiscaux. A peine le sujet a-t-il été abordé que le président passe déjà au suivant. Dès lors, deux possibilités s'offrent aux journalistes : soit ils participent à la course contre la montre au risque de devenir les porte-paroles du pouvoir, soit ils traitent l'information en décalage pour approfondir les sujets mais dans ce cas, ils ne sont plus "réactifs". Les chaînes d'information en continu sont confrontées à ce dilemme. LCI, I-tele, BFM TV participent à une course contre la montre sans fin et rapportent au jour le jour toutes les interventions du président de la République. Désormais, ces chaînes diffusent même l'intégralité des discours ou des conférences de presse du chef de l'Etat ou de ces porte-paroles. L'information est brute, l'analyse est reléguée au second plan, lors de débats organisés après la diffusion de la conférence de presse.

Nicolas Sarkozy et la stratégie de l'évitement

En imposant son calendrier, Nicolas Sarkozy évite que les journalistes prennent le temps d'approfondir les dossiers. L'information en temps réel empêche tout recul et permet à Nicolas Sarkozy d'éviter toutes les critiques. Ainsi, lorsqu'il annonce la fusion GDF-Suez, il annonce en fait une privatisation de GDF alors qu'il s'était engagé en tant que ministre de l'Economie à ce que l'Etat ne descende jamais en-dessous de 70% de participation. Les médias n'ont pas le temps de relever la contradiction, le renoncement, que déjà, il a changé de dossier en écrivant une "lettre aux enseignants" dans laquelle il précise son projet pour l'Education nationale. Une image chassant l'autre, ce coup médiatique permet d'étouffer les critiques sur les suppressions de postes.
En ne s'arrêtant jamais, il zappe d'un sujet à l'autre, contourne les obstacles ou passe sous silence les contradictions en changeant de dossier.

Une prise de parole non limitée par le CSA

Le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel comptabilise le temps de parole des hommes politiques sur les chaînes de télévision : 1/3 du temps doit être accordé au gouvernement, 1/3 du temps à la majorité, 1/3 du temps à l'opposition. Si la prise de parole du président de la République est bien comptabilisée, elle n'entre pas dans ce quota. Les chaînes de télévision peuvent donc parler de Nicolas Sarkozy en permanence sans craindre une remontrance du CSA. Des députés de l'opposition ont néanmoins saisi le CSA pour corriger cette anomalie. Aux dernières nouvelles, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel étudie une réforme de la comptabilité du temps de parole.

Y a-t-il un risque d'essoufflement ?

Selon les experts de la communication politique, l'essoufflement du système n'est pas obligatoire. Tant que Nicolas Sarkozy traite des dossiers de fond, lance de nouveaux sujets et ne crée pas d'événements médiatiques sans contenu, les médias suivront. Tant que la machine médiatique est alimentée par le pouvoir, le système fonctionne.
Cependant, le cumul des petits reniements ou le principe de réalité peuvent contribuer à l'usure. Malgré l'activisme du chef de l'Etat, la croissance économique est faible, la France n'a jamais été aussi endettée. Le renoncement à la TVA sociale, la censure du conseil constitutionnel sur les crédits immobiliers, les petits arrangements avec la promesse finiront par être réutilisés contre lui par l'opposition. D'ici là, l'agenda présidentiel continue à remplir les sommaires de la presse et des journaux télévisés. Jeudi 20 septembre 2007, l'interview télévisée de Nicolas Sarkozy sur TF1 et France 2 a été suivie par 14,6 millions de téléspectateurs.

*** Liens

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