Décryptage de l'interview de Nicolas Sarkozy : excuses rajoutées, remaniement, sécurité, éducation

Revue de presse · 26 fév. 2008 à 12:10

Interview du président

Dans une situation difficile depuis trois mois, le président de la République a accordé une longue interview aux lecteurs du journal Le Parisien. Le rendez-vous avait été pris il a une semaine mais il tombe bien après un week-end catastrophique pour Nicolas Sarkozy en terme d'images suite à son altercation au salon de l'agriculture. Au cours de l'entretien, tous les sujets ont été abordés. La presse a essentiellement retenu le mea-culpa de Nicolas Sarkozy à propos de son comportement de samedi dernier. Mais il y a bien plus que cela dans cette interview. Décryptage.

Revue de presse du mardi 26 février 2008

- Le Parisien : Intégralité de l'interview
- Libération : Les ministres justifient le « casse-toi, pauvre con » de Sarkozy
- L'Express : Les "excuses" de Sarkozy ont été ajoutées

Interview de Sarkozy au Parisien

Salon de l'agriculture : les excuses de Sarkozy ont été rajoutées

L'entretien de Nicolas Sarkozy a été publié dans la version papier du Parisien et sur son site Internet. Toute la presse a repris en boucle la phrase clé de l'interview : "Cela étant, j'aurais mieux fait de ne pas lui répondre". Seulement, cette phrase n'a pas été prononcée au cours de l'entretien, elle a été rajoutée par l'équipe de l'Elysée qui a "relu et amendé" le texte, selon l'expression consacrée.
L'interview avait été réalisée lundi matin, entre 10h et 12h. Dans la version originale, voilà comment Nicolas Sarkozy évoquait l'incident au salon de l'agriculture : "Il est difficile même quand on est président de ne pas répondre à une insulte, j'ai sans doute les défauts de mes qualités. Ce n'est pas parce qu'on est le président qu'on devient quelqu'un sur lequel on peut s'essuyer les pieds". Mais l'équipe de l'Elysée a dû prendre conscience de l'ampleur de la polémique dans la journée de lundi, ce qui explique qu'une phrase d'excuses ait été ajoutée dans la version définitive transmise au journal à 23h.
La pratique du "relu et amendé" est courante. Ce qui est plus surprenant, c'est que Le Parisien a pris la décision de résumer l'interview par cette phrase, en titre, alors qu'elle n'a pas été prononcée. Dominique de Montvalon, directeur de la rédaction du Parisien, s'est expliquée ce matin sur Canal +.

Le problème de l'inertie du pouvoir

Au cours de l'entretien, une question a été posée à Nicolas Sarkozy sur son hyperactivité et l'hypermédiatisation qui en résulte. Sa réponse est révélatrice de l'inertie du pouvoir : "De cette pièce où nous sommes pour prendre des décisions, à l'arrivée dans les administrations, quand je demande 100, j'obtiens 10. Si je ne tape pas du poing sur la table, si je n'exige pas des résultats, il ne se passe rien". Tous les responsables politiques qui ont eu à gérer un grand ministère ont la même expérience. L'inertie des administrations, le circuit compliqué de l'application des décisions aboutissent à un très grand décalage entre la décision de départ et la réalité sur le terrain. C'est ce décalage qui est souvent pointé du doigt par l'opinion qui reproche aux responsables politiques de ne pas tenir leurs promesses.

Police de proximité, l'art de ne pas répondre à une question

Un lecteur du Parisien a interpellé le chef de l'Etat sur le paradoxe de rétablissement de la police de proximité. En tant que ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy l'avait supprimé. Mais Michèle Alliot-Marie, en annonçant la création d'une police de quartier, vient de la rétablir. Dans sa réponse, le président de la République contourne la difficulté en expliquant que son bilan en matière de sécurité est positif et que la police de proximité était une erreur : "La police de proximité sous la gauche c'était de faire des patrouilles dans les zones piétonnes à 9 h du matin. La gauche et la sécurité, ça a été un désastre". Mais aucun commentaire sur la police de quartier de Michèle Alliot-Marie. Ce non-dit reflète la gêne de Nicolas Sarkozy et confirme bien le rétablissement d'une police de proximité.

Claude Allègre, prochain ministre de la Recherche

Depuis plusieurs semaines, le nom de Claude Allègre circule pour une éventuelle entrée au gouvernement. Au nom de l'ouverture, il obtiendrait un grand ministère de la recherche et de l'industrie. Ce qui était encore une rumeur il y a quelques heures est désormais une information. Voilà ce que Nicolas Sarkozy a déclaré : "L'ouverture, je vais la continuer (...), Claude Allègre est un homme avec qui j'aimerais un jour travailler. C'est un grand scientifique. Il veut changer les choses". En rupture avec le Parti Socialiste, l'ancien ministre de l'éducation de Lionel Jospin, qui avait refusé en juin dernier d'entrer au gouvernement, va donc faire son retour dans un gouvernement de droite cette fois-ci.

Primaires : des professeurs évalués en fonction des résultats des élèves

C'est une véritable bombe que livre Nicolas Sarkozy au détour d'une phrase. Jusqu'à présent, les enseignants sont évalués en fonction de l'application des méthodes. En moyenne, un enseignant est inspecté dans sa classe tous les cinq ans. Au cours de l'interview, Nicolas Sarkozy a annoncé une petite révolution dans l'évaluation des enseignants du primaire : "Il y aura deux nouveautés dès l'année prochaine : vous connaîtrez les résultats de l'école de votre enfant, et il y aura une évaluation tous les deux ans des professeurs sur les résultats et non pas sur l'application de la méthode". Mais comment appliquer cette culture du résultat à l'enseignement ? L'hétérogénéité des classes, les écarts entre établissements, l'absence de mixité sociale sont autant d'obstacles insurmontables pour évaluer un enseignant en fonction des résultats de ses élèves. Nul doute que sa proposition risque de faire polémique.

L'archétype du plan de communication et l'anecdote du fromage blanc

Cette interview est l'archétype du plan de communication. Nicolas Sarkozy joue sur la proximité en apostrophant ses interlocuteurs. Il botte en touche sur les questions qui pourraient le mettre en difficulté d'autant plus facilement que les lecteurs n'ont pas un droit de suite en insistant. Il rejette les accusations de mise en scène de sa vie privée mais continue à vouloir désacraliser la fonction présidentielle. L'illustration de cette mise en scène est l'anecdote du fromage blanc. Au milieu de l'interview, le Parisien précise : "Aparté : Il prend un café et un petit fromage blanc : « Excusez-moi, je me suis levé très tôt ce matin, j'ai toujours faim". La ficelle est un peu grosse mais elle marche : le président de la République accorde sa première interview depuis trois mois mais il est obligé de manger un fromage blanc car il s'est levé très tôt pour travailler et a besoin de reprendre des forces. L'hyperprésident est de retour.

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