Chômage ou pouvoir d'achat : l'erreur stratégique de Nicolas Sarkozy

Revue de presse · 18 fév. 2008 à 07:14

Chômage et pouvoir d'achat

Toutes les enquêtes d'opinion indiquent la même tendance : la cote de popularité du président de la République a chuté en raison de la séquence "vie privée" du chef de l'Etat et de l'absence de résultats en matière de pouvoir d'achat. C'est Nicolas Sarkozy lui-même qui avait placé ce thème au coeur de la campagne présidentielle de 2007. Il s'était autoproclamé "président du pouvoir d'achat" s'il était élu. Or, le piège s'est refermé sur lui.
Le problème est complexe et le pouvoir politique a d'autant moins les capacités d'agir directement sur le pouvoir d'achat que les finances publiques sont dans le rouge. Avec la crise financière américaine, la croissance est en berne et la plupart des indicateurs économiques n'inspire pas à l'optimisme pour l'année 2008. En revanche, il y a un domaine où la situation s'améliore : c'est l'emploi. Les chiffres du chômage n'ont jamais été aussi faibles depuis 1984. Mais personne n'en parle...

Revue de presse du lundi 18 février 2008

- Les Echos : Pouvoir d'achat : le talon d'Achille
- L'Express : Ce que cache l'objectif du plein emploi
- Le Monde : Le chômage a reculé de 9,3 % en 2007 selon le bilan du ministère de l'emploi

Nicolas Sarkozy a imposé les thèmes du débat public depuis 2002

Entre 2002 et 2007, Nicolas Sarkozy a réussi à imposer les thèmes du débat public. Profitant de la faiblesse du Parti Socialiste qui ne s'est toujours pas relevé de son échec à la présidentielle de 2002, Nicolas Sarkozy est devenu l'épicentre de la vie politique.
Progressivement, il a lui-même alimenté le débat public : sécurité, responsabilité des juges, immigration et politique de quotas, discrimination positive, place de la religion dans la société, pouvoir d'achat. A chaque prise de position de sa part, les autres responsables politiques devaient se prononcer.
Au cours de la campagne présidentielle, il a appliqué la même méthode. En ouvrant le débat sur l'identité nationale, les autres candidats ont dû suivre, parfois avec maladresse, notamment lorsque Ségolène Royal a proposé que chacun agite le drapeau français chez soi le jour du 14 juillet.
L'avantage pour Nicolas Sarkozy est d'imposer son rythme, son calendrier au monde politique et aux médias. Il a récidivé la semaine dernière avec sa proposition controversé de confier la mémoire d'un enfant français victime de la Shoah à chaque élève de CM2. Tollé politique et médiatique. Le psychodrame des municipales à Neuilly-sur-Seine a été effacé avec ce sujet polémique. Tous les responsables politiques ont du se positionner sur cette question.
Cette méthode permet donc au président de la République de maîtriser le débat public.

Le président du "pouvoir d'achat" en 2007

Mais cette stratégie qui consiste à s'accaparer les thèmes du débat public est à double tranchant : tant que le responsable politique maîtrise son sujet et propose des réponses cohérentes, tout se passe bien. Mais si le thème lui échappe, il y a un risque de retour de boomerang avec un effet immédiat. C'est ce qui s'est passé avec le thème du pouvoir d'achat.
Lorsque Nicolas Sarkozy a évoqué ce thème pour la première fois, ce n'était pas la principale préoccupation des Français. Depuis près de 20 ans, la principale préoccupation des Français était le chômage. Pour s'en convaincre, il suffit juste de se rappeler du discours de politique générale du dernier Premier ministre de Jacques Chirac : Dominique de Villepin avait fait de la bataille pour l'emploi son unique priorité. Or, Nicolas Sarkozy a abandonné cette thématique, et prôné la rupture. Ce choix a été fait consciemment : puisque les chiffres du chômage s'amélioraient et que Nicolas Sarkozy souhaitait se démarquer de Chirac et Villepin, il a commencé à parler d'un autre thème, le pouvoir d'achat.

Le thème du pouvoir d'achat a supplanté celui du chômage en juin 2007

En raison de sa capacité à imposer les thèmes du débat public, Nicolas Sarkozy a réussi à mettre la question du "pouvoir d'achat" au coeur de la campagne présidentielle 2007. Les salaires ont stagné alors que les dépenses liées au logement et à l'énergie ont littéralement explosé quand dans le même temps les prix des biens de consommation ont fortement augmenté eux-aussi. Parallèlement à cette hausse du coût de la vie, les salaires ont peu augmenté. Nicolas Sarkozy a donc voulu s'emparer de ce thème avec son slogan "travailler plus, pour gagner plus".
Ce matraquage médiatique a porté ses fruits : en juin 2007, le chômage était la principale préoccupation de 47 % des Français, loin devant la hausse des prix (15%). Mais depuis novembre 2007, les deux courbes se sont croisées : 34 % des Français placent aujourd'hui l'inflation comme leur principale préoccupation, devant le problème du chômage (28 %).
De ce point de vue, le pari est réussi : le chômage, qui empoisonnait les gouvernements successifs depuis près de 20 ans, est passé au second plan.

Le taux de chômage est au plus bas depuis 1984

Or, Nicolas Sarkozy a fait une erreur stratégique en relayant au second plan la question du chômage car jamais les chiffres n'avaient été aussi bons depuis... 1984.[b] Aujourd'hui, le nombre de demandeurs d'emploi s'élève à 1 897 000, soit un taux de chômage de 7,9%. On est donc loin des 12% des années 1990. Hormis la polémique sur l'ampleur des radiations par l'ANPE de chômeurs de longue durée qui ont refusé un emploi, deux raisons expliquent ces bons chiffres :
- en 2007, le secteur privé a créé plus d'emplois qu'il n'en a supprimés : ce chiffre est estimé à 300 000 créations nettes d'emploi.
- la croissance de la population active s'est ralentie et la proportion de retraités à augmenter ce qui a facilité l'accès au marché du travail.

Mais plus personne ne parle du chômage aujourd'hui

Malgré ces bons chiffres, plus aucun média ne parle du chômage et pour cause : le chômage n'est plus la principale préoccupation des Français. En revanche, le problème du pouvoir d'achat reste intact et Nicolas Sarkozy n'arrive pas à inverser la tendance. D'ailleurs, il aura d'autant plus de mal à obtenir des résultats que la question du pouvoir d'achat est très subjective.
Par exemple, pour de nombreux ménages, les dépenses fixes comme les abonnements Internet, de téléphonie mobile ou de télévision par satellite, ne sont plus considérées comme des achats mais comme des charges. De fait, alors que certaines catégories de population n'ont pas de réel problème de pouvoir d'achat, elles s'estiment tout de même victimes de la hausse du coût de la vie car elles n'ont pas le sentiment de consommer plus.


Avoir troqué le problème du chômage pour celui du pouvoir d'achat s'est donc avéré une stratégie hasardeuse. Le président de la République en paye aujourd'hui le prix avec une cote de popularité qui s'est effondrée, faute de résultats tangible sur cette question.

*** Liens

- Qu'est-ce que le pouvoir d'achat ?
- Les propositions de Nicolas Sarkozy pour augmenter le pouvoir d'achat
- Pourquoi les prix des biens de consommation augmentent ?
- Comment faire baisser les prix dans les supermarchés ?
- Hausse du prix des carburants : le gouvernement est en panne de solution
- Economie : comment expliquer la crise financière mondiale ?

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