Masterisation, bivalence et certifications cachées en langues : comment le gouvernement va diminuer le nombre de profs en s’attaquant aux concours

Revue de presse · 28 juin 2010 à 23:57

Education, concours, clés 2

C'est une petite révolution dans le monde de l'éducation. A la rentrée prochaine, les étudiants ayant réussi le concours de Capes ou d'agrégation entameront leur carrière sans formation véritable. Le gouvernement a échangé l'année de stage en alternance en IUFM et enseignement en classe contre la masterisation. Désormais, tout étudiant qui souhaite passer un concours d'enseignement doit posséder un Master 2, ce qui équivaut à un Bac + 5. Une nouvelle surprise attend les candidats aux concours, externes comme internes : ceux-ci devront avoir, pour valider ce concours, deux certificats, l'un concerne les langues étrangères (CLES 2) et l'autre l'informatique (C2i2e). Ces nouvelles conditions ont été dénoncées par la Société des agrégés et pour cause : elles masquent une volonté certaine, de la part du ministère de l'Éducation nationale, de limiter le nombre de titulaires parmi les enseignants du second degré.


Ironie de l'histoire, la plupart des candidats qui s'apprêtent à passer le concours dans six mois ignorent même qu'il y a de nouvelles épreuves de langues obligatoires...

Qu'est ce que la masterisation ?

Dès la rentrée, les professeurs des écoles comme du second degré ne seront plus recrutés à un niveau bac+3 (pour les professeurs des écoles et les certifiés) et bac+4 (pour les agrégés) mais au niveau bac +5, c'est-à-dire en master 2, d'où le nom de « masterisation ».

Est-ce une volonté d'améliorer la formation ? Pas exactement. Car dans les faits, il n'y a pas de réel changement en termes de durée d'études. Prenons l'exemple d'un enseignant de lycée. Jusqu'à présent, à partir de la licence (bac +3), le candidat pouvait passer le concours. En réalité, les étudiants poussaient souvent jusqu'à la maîtrise (bac +4) avant de préparer le CAPES. L'année de la préparation du concours n'a jamais été comptabilisée dans le cursus universitaire. Un enseignant obtenant le CAPES avait donc un bac +3 (licence) ou bac +4 (maîtrise), l'année du concours ne comptant pas. Une fois le concours validé, le lauréat entrait en formation d'un an à l'IUFM alternant cours théoriques et stage en responsabilité dans un établissement scolaire. Suivi à la fois par un tuteur (lui-même enseignant) et par un formateur chargé de rendre compte à l'IUFM de ses progrès au travers de rapports, le stagiaire était encadré tout au long de l'année.

Avec la masterisation, l'année du concours est désormais comptabilisée comme une année universitaire : bac +5 pour tout le monde. On le voit donc, la réforme donne l'illusion de rallonger la durée d'études, ce qui n'est pas vraiment le cas (sauf pour les professeurs des écoles et les enseignants du second degré qui passaient le concours après la licence). Quel est le changement alors ? Une fois le concours validé, le lauréat ne passe plus par la case IUFM mais directement devant élèves, à temps complet. Il est toutefois conseillé par un tuteur qu'il rencontrera à divers moments de l'année et assistera à quelques cours théoriques.

Cette réforme, voulue par Nicolas Sarkozy dès juillet 2007, est une manière de faire des économies. Jusqu'alors, les stagiaires étaient payés à plein temps pour n'exécuter que 6 à 8 heures (pour les enseignants du second degré) devant élèves et suivre une formation. Dès septembre 2010, les enseignants feront leur entrée dans le métier à plein temps, c'est-à-dire 16h (ils conservent deux heures de formation). Certes, ces nouveaux enseignants bénéficieront d'une augmentation de salaire (de l'ordre de 150 euros) mais à quel prix !

Le but de cette réforme a provoqué la colère des syndicats et des enseignants qui y voient une manière pour le gouvernement de supprimer des postes. En 2010, c'est encore 16 000 postes qui sont supprimés dans l'Éducation nationale.

Deux nouvelles certifications à valider

En plus de passer le concours, les candidats devront valider deux nouvelles certifications, petite nouveauté passée complètement inaperçue pour le moment. Et pour cause : un décret du 28 mai 2010 et publié dans le BO du 17 juin 2010 (décret n°2010-570) modifie les conditions d'accès au concours. Or, les candidats aux concours sont invités à s'inscrire sur le SIAC depuis le 1er juin, soit 16 jours avant la parution officielle du décret.
Jusqu'alors, il suffisait à un candidat d'avoir le niveau requis pour avoir le droit de passer, en externe, l'un des concours de l'enseignement, et cinq ans d'ancienneté pour le passer en interne. Depuis la publication de ce décret, tout candidat admis aux différents concours devra avoir validé un certificat de compétence en langues de l'enseignement supérieur de deuxième degré (niveau B2 du cadre européen commun de référence : CLES 2) et un certificat en informatique et internet de niveau 2 « enseignant » (C2i2e). Sans l'obtention de ces deux certificats, les candidats, même après avoir passé avec succès l'un des concours, ne pourront être titularisés.

Quel est le problème ? Outre le fait qu'un certain nombre de candidats risquent de ne pas être avertis de ces nouveaux certificats qui ne sont pas compris dans la préparation au concours, d'autres risquent d'être découragés devant des obstacles non prévus. D'autre part, comme l'indique La Société des gens de lettres, « les conditions de délivrance de ces certificats demeurent floues : on ne sait s'il faut considérer par exemple que la certification en langue est organisée par certains établissements d'enseignement supérieur, comme semble l'indiquer la terminologie du texte du 28 mai 2010, ou plutôt par les rectorats dans le cadre du « diplôme de compétence en langue » créé par le décret du 7 mai 2010 (décret n°2010-469) ».
Mais ce n'est pas tout, le gouvernement qui cherche ainsi à décourager et à éliminer certains candidats a deux autres objectifs bien précis : grâce à ce certificats en langues, le professeur est désormais apte, s'il le faut, à enseigner une langue étrangère. On revient à la fameuse bivalence désirée depuis plusieurs années déjà par le ministère de l'Éducation nationale.

La bivalence : suppression de postes et précarisation du métier

La bivalence est une vieille idée gouvernementale. En 2006 déjà, le ministre Gilles de Robien avait proposé que l'on intègre à la loi Fillon la notion de bivalence. Les enseignants du collège enseigneraient deux matières. Gilles de Robien avait justifié ce choix par une « simplification pour les enseignants dans leurs affectations ». Précisément, le but visé, à l'époque déjà, était de faciliter l'affectation d'un enseignant dans un établissement, le rendre polyvalent et de régler le problème des matières déficitaires comme l'allemand ou le russe. Ainsi, un enseignant en langue rare, pourrait aussi enseigner les mathématiques ou le français.
Gilles de Robien avait donc pris un décret en février 2007, encourageant la bivalence mais face à la polémique suscitée, Nicolas Sarkozy l'avait abrogé dès juin 2007. Comme la bivalence est pratique et permet des suppressions de postes, celle-ci est revenue au devant de la scène en avril dernier avec la publication du rapport parlementaire du député UMP Jacques Grosperrin. Si le terme de « bivalence » n'est guère évoqué sur le site de l'Éducation nationale, il est à parier que l'on pourra demander à tout professeur ayant obtenu ce certificat de langues d'enseigner cette matière. Dernier aspect de cette réforme, puisque ces épreuves sont un obstacle supplémentaire pour valider son concours, nombre de candidats ne l'obtiendront pas, ainsi, tous les postes ouverts aux concours pourraient ne pas être pourvus, argument supplémentaire pour le ministre de l'Éducation pour justifier le recours aux emplois précaires : les non-titulaires.

Fin mai dernier, Le Monde s'est procuré un document provenant du ministère de l'Éducation nationale et qui aurait dû rester confidentiel, proposant diverses idées pour continuer à diminuer le nombre d'enseignants. L'objectif pour 2011-2013 est de parvenir à ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux et dès 2011 de supprimer entre 15 000 et 17 000 postes. La masterisation et ses différentes conséquences (nouveaux certificats en langues et en informatique) sont un moyen parmi bien d'autres de parvenir à ce chiffre. Le ministère, à n'en pas douter, ne manque pas d'idées.


Par Anne-Sophie Demonchy

*** Liens

> Les manipulations du ministère pour supprimer des postes de profs
- La version officielle : moins d'élèves, moins de profs
- Supprimer des postes pour augmenter le nombre d'heures supplémentaires
- Quand des titulaires font partie du convoi des retraités
- Objectif recherché : créer artificiellement le surnombre pour aboutir au "flexiprof"

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