Comment un député peut-il devenir propriétaire sans débourser le moindre euro ?

L'argent du pouvoir · 19 juin 2012 à 23:03 · Commentaires 0

Permanence de députés

Les avantages accordés aux députés sont parfois bien cachés. La gratuité du téléphone ou des voyages en train en première classe sont bien connus. Mais qui savait qu'un député peut acquérir un bien immobilier sans débourser le moindre euro, grâce à l'indemnité représentative de frais de mandat ? Un privilège dénoncé dernièrement par Mediapart, mais connus des journalistes. Vincent Quivy, auteur du livre Chers élus, paru en 2010, l'avait déjà évoqué.



Episode 11 : Acquérir un bien immobilier avec une indemnité de député.

L'argent du pouvoir, saison 3

Utiliser l'IRFM pour acheter une permanence

Le revenu d'un député est composé de plusieurs indemnités de base qui s'élèvent à 7064 euros brut par mois. En plus de ce salaire, un député perçoit également une indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). Celle-ci s'élève à 6 209 euros brut par mois et sert à toutes ses dépenses de représentation : vêtements, restaurations, matériel, dépenses de communication... et un bureau dans la circonscription.

Un bureau ? Normal pour un député qui doit être présent dans sa circonscription tout en devant étudier les projets de loi qu'il devra voter. Quand l'indemnité de frais de représentation sert à louer un bureau, difficile d'y voir quelque chose à redire. Mais certains députés sont plus malins en utilisant l'IRFM... pour acheter en leur nom propre un "bureau", c'est-à-dire un appartement qui fait généralement 100 mètres carrés. "Les frais de mandat servent alors à rembourser l'emprunt que l'élu a contracté pour acheter son bureau en province", explique Vincent Quivy.

Un "bureau" que peut garder le député après son mandat

Sur le papier, ce choix paraît judicieux : il vaut mieux investir que de louer à perte. Sauf que le bien acquis ne finit pas dans le patrimoine de l'assemblée nationale (qui pourrait décider d'attribuer ce bureau aux successeurs du député) mais revient, in fine, au député, qui devient ainsi l'heureux propriétaire d'un bien immobilier sans avoir déboursé le moindre euro de sa poche.
Dans ce cas de figure, l'achat est donc plus onéreux pour l'assemblée que la location puisque le montant des mensualités de remboursement du prêt s'élèvent "à près de 3000 euros par mois là où une location reviendrait à 1000 euros". Et "la formule est d'autant plus coûteuse que le député choisit généralement d'emprunter sur dix ans, plutôt que sur vingt ou trente, afin d'avoir, au bout de deux mandats seulement, totalement payé l'appartement et, en cas de défaite, d'être l'heureux propriétaire d'un bien entièrement financé par l'Assemblée nationale". Pire : l'assemblée nationale encourage indirectement ce procédé coûteux.

L'Assemblée propose même des prêts avantageux

La longévité moyenne d'un député étant de deux mandats, "le prêt à dix ans paraît le mieux adapté". Cela tombe bien : l'assemblée nationale propose des prêts à dix ans à un taux imbattable de 2%. "Emprunter à plus long terme n'a dès lors guère d'intérêt : en cas de défaite prématurée, le député devra continuer de payer sur ses propres deniers ou revendre son bien pour rembourser l'emprunt", relève Vincent Quivy.

Le cas d'un député breton

Illustration avec le cas de Jean-Jacques Urvoas (PS, Finistère), qui fait partie des rares députés à détailler publiquement les dépenses effectuées avec son IRFM. "Sur les 6 000 euros alloués, le solde est, en moyenne, chaque mois, de 384 euros. Un solde qui pourrait être plus élevé si le parlementaire avait fait le choix de louer sa permanence plutôt que de l'acheter, explique Quivy. Car "une part non négligeable de son indemnité de frais de mandat, près de la moitié, sert en effet à rembourser deux emprunts contractés pour financer l'achat de son appartement de 150 mètres carrés à Quimper, dans lequel il a installé son bureau. Avoisinant les 3000 euros par mois, ces mensualités élevées permettront au parlementaire de ne plus rien avoir à payer au bout de dix ans, soit l'équivalent de deux mandats. Rien ne l'empêche ensuite de revendre cet appartement ou de l'occuper à titre personnel puisqu'il en est propriétaire". Ayant été réélu député avec 62,74% des voix en juin 2012, Jean-Jacques Urvoas sera l'heureux propriétaire de ce "bureau" à la fin de son deuxième mandat.

Scandaleux ? Sur son blog, le député reconnaissait lui-même, en 2009, qu'il vaudrait mieux que l'Assemblée procède à l'achat d'un local par circonscription. Une telle réforme n'est pourtant pas à l'ordre du jour.


*** Sources
- Vincent Quivy, Chers élus, ce qu'ils gagnent vraiment, Seuil, 2010
- J-J. Urvoas, "Indemnité parlementaire, réponses aux questions", Blog Libé, 25.07.2009
- J-J. Urvoas, "Comment je dépense mes indemnités de député...", Blog Libé, 20.07.2009

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