Hausse du prix des carburants : le gouvernement est en panne de solution

Le Canard enchaîné · 9 nov. 2007 à 20:37

Station essence

Christine Lagarde aurait-elle encore gaffé ? Interrogée sur la hausse du prix des carburants, la ministre de l'économie a conseillé aux Français de se déplacer le plus souvent à pieds ou à vélos. Cette déclaration arrogante rappelle le style Marie-Antoinette : "S'ils n'ont pas de pain, qu'ils mangent de la brioche". L'Elysée n'aurait pas apprécié cette sortie de la ministre.
Pourtant, la déclaration de Christine Lagarde est révélatrice de l'impasse dans laquelle se trouve le gouvernement face à la hausse de l'essence. La solution toute trouvée serait simple : baisser les nombreuses taxes sur l'essence pour faire baisser le prix à la pompe. Mais la question de la hausse du prix des carburants s'avère beaucoup plus complexe comme le révèle Le Canard Enchaîné, dans son édition datée du mercredi 7 novembre 2007.

Une hausse des prix continue

Depuis le mois de janvier, le prix des carburants n'a cessé d'augmenter : + 11% pour le Sans plomb 95, + 13% pour le Gazole. Quant au fuel de chauffage, il a augmenté de près de 20% depuis le mois de janvier. Ces hausses massives viennent entamer un peu plus le pouvoir d'achat des Français, thème central de la présidentielle avec le slogan "travailler plus, pour gagner plus".
Cette augmentation des prix s'explique par la hausse du prix du baril de pétrole. Si cette hausse apparaît inéluctable puisqu'à terme, les réserves de pétrole vont diminuer, il semblerait que cette hausse se soit accélérée à cause de certains spéculateurs : les producteurs ont tout intérêt à produire moins pour faire grimper les prix puisque la demande reste forte.
Les usagers sont donc les premières victimes de la hausse du prix du baril. Dans le même temps, des grandes entreprises comme Total affichent des bénéfices records : près de 3 milliards de bénéfice pour le 3ème trimestre 2007.

La colère des marins-pêcheurs et bientôt des routiers ?

Pour le gouvernement, la hausse du prix des carburants est une question explosive. Les marins pêcheurs ont manifesté cette semaine pour demander au gouvernement de prendre les mesures qui s'imposent : face à la hausse du prix de l'essence, les marins pêcheurs voient leur cout s'envoler. Preuve que la situation est prise au sérieux à l'Elysée, Nicolas Sarkozy en personne s'est déplacé au Guilvinec pour rencontrer les marins pêcheurs et faire des propositions.
Le gouvernement craint une extension du conflit aux routiers. Si ces derniers décident de se mettre en grève et de bloquer les dépôts de carburant, la situation pourrait vite devenir intenable dans un contexte où les cheminots ont déjà annoncé un début de grève reconductible la semaine prochaine.

Les taxes sur les carburants : plus de 50% du prix

Usagers, marins-pêcheurs, routiers réclament tous la même chose : que le gouvernement baisse les taxes sur les carburants pour compenser la hausse du prix du baril de pétrole. Aujourd'hui, l'essence est taxée deux fois : il y a la TIPP (Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers) et la TVA. En tout, les taxes représentent 55% du prix du Gazole et 65% du prix du Sans Plomb 95. Mais le gouvernement est coincé, il ne peut baisser ces taxes.

La baisse des taxes sur l'essence serait contraire à l'esprit du Grenelle de l'environnement

Avec le Grenelle de l'environnement, Nicolas Sarkozy s'est engagé à encourager les énergies renouvelables, moins polluantes, et à stopper l'extension des autoroutes au profit du développement des transports collectifs. La baisse du prix de l'essence irait donc à l'encontre de tous les engagements sur la politique de développement durable.

L'équation impossible du gouvernement : TIPP et TVA

Mais le gouvernement ne peut diminuer les taxes sur les carburants pour une deuxième raison : l'Etat perd de l'argent quand les prix montent. Ce n'est pas le moindre des paradoxes, alors qu'on pourrait penser qu'une hausse des prix entraînerait une hausse des recettes fiscales, un rapport a démontré que l'Etat perdait de l'argent lorsque les prix à la pompe augmentaient. En effet, les usagers anticipent les hausses et font en sorte de moins utiliser leur voiture. L'augmentation des prix entraîne une diminution de la consommation de carburants. Or, l'Etat est perdant :
- La TIPP est fixe (43 centimes par litre pour le SP 95 par exemple). Il n'y a donc pas de recette supplémentaire quand les prix augmentent. En revanche, si les usagers consomment moins, la TIPP rapporte moins.
- La TVA est indexée sur les prix. Quand les prix augmentent, les recettes de TVA augmentent. Mais cette hausse ne compense pas les pertes de la TIPP quand les usagers consomment moins.
Concrètement en 2006, la baisse de la consommation d'essence liée à la hausse des prix a entraîné un manque à gagner de 765 millions d'euros pour la TIPP. Dans le même temps, la hausse des prix a permis à l'Etat d'engranger 136 millions d'euros de TVA en plus. Sauf qu'entre la baisse de la TIPP et la hausse de la TVA, l'Etat a une perte de recettes de 629 millions d'euros.

En résumé, contrairement à l'idée reçue, l'Etat perd de l'argent lorsque les prix des carburants augmentent. Baisser les prix à la pompe reviendrait à l'Etat de faire un effort financier très important, trop important aux yeux du gouvernement. Dans un contexte de déficit budgétaire chronique, la marge de manoeuvre du gouvernement est quasi-nulle, sauf à décider de laisser creuser un peu plus ce déficit.



*** Source Hervé Martin, "Christine Lagarde victime d'une marée noire", Le Canard Enchaîné, n°4541, mercredi 7 novembre 2007

*** Liens

- Nicolas Sarkozy s'occupe aussi des marins pêcheurs bretons
- Nicolas Sarkozy insulté au Guilvinec : la 2ème vidéo cachée
- Les principales mesures du Grenelle de l'environnement
- Déficit public : le débat Jacques Attali / Olivier Besancenot

_____________________________________________________
Quiz : Comment s'appelle le mouvement politique lancé par le sécrétaire d'Etat Jean-Marie Bockel ?

Commentaires