Comment François Hollande est devenu Président de la République

Revue de presse · 7 mai 2012 à 06:48 · Commentaires 0

Hollande, président de la République, 6 mai 2012, TF1, 20 heures

Un "invraisemblable concours de circonstances". De l'aveu même d'un dirigeant du PS, l'élection de François Hollande à la présidence de la République a défié les lois de la logique. Car qui aurait parié en 2008, au moment de son éviction de la tête du PS après y avoir passé 11 années sans vraiment briller, que François Hollande serait le prochain président de la République ? Il n'a jamais été ministre, ni secrétaire d'Etat. Il ne voulait pas de primaires ouvertes au PS pour 2012, et il n'avait même pas pu, en 2007, présenter sa candidature. Et pourtant, François Hollande vient d'être élu président de la République avec 51,62% des voix contre 48,38% pour Nicolas Sarkozy.

Des premiers sondages des primaires, qui le créditaient de seulement 5% des voix, à sa victoire contre Nicolas Sarkozy, retour sur les moments clés de son parcours depuis 2008. Ou comment un Premier secrétaire moqué pour son goût de la synthèse molle est devenu le 7ème président de la Ve République, dix-sept ans après le départ de celui qui était jusqu'à présent le seul homme politique de gauche à être entré à l'Elysée, François Mitterrand.

2008, Hollande est esseulé après son départ de la tête du PS

En décembre 2008, lorsque François Hollande cède sa place de premier secrétaire du Parti Socialiste à Martine Aubry, il est bien seul. Ses onze années passées rue de Solférino (un record) ont été critiquées par tous les candidats à sa succession. Redevenu simple député et président du Conseil général de Corrèze, Hollande est considéré hors-jeu pour la présidentielle de 2012, d'autant plus qu'il avait passé son tour en 2007 alors qu'il était premier secrétaire du PS. "Tout le monde était persuadé qu'il était marginalisé", a résumé un haut dirigeant du PS au journal Le Monde.

Quand il quitte rue de Solférino, trois candidats se détachent pour la présidentielle : Ségolène Royal, qui a raté de peu sa prise de contrôle du parti, Martine Aubry, qui se positionne comme une candidate naturelle en tant première secrétaire, et bien sûr Dominique Strauss-Kahn, qui a retrouvé une forte crédibilité sur la scène politique en étant devenu directeur du Fonds Monétaire international. Quant à François Hollande, il "est désormais quotidiennement éreinté par Martine Aubry, qui lui succède. Laquelle envisage même un "audit" sur sa gestion et se répand, jusque devant le bureau national, sur l'état désastreux des toilettes", raconte Le Monde. "Tout ça était très dur, très injuste, vraiment pénible", assure son lieutenant Stéphane Le Foll.

Hollande et Aubry en 2008

2009, l'année de la reconstruction

Après deux mois de silence, François Hollande tente un premier come-back médiatique au début de l'année 2009. "Nouvelles lunettes, costumes sur mesure, incontestables efforts capillaires : "un nouveau Hollande", tentent de vendre ses fidèles", explique Le Monde. Mais aucun journaliste ne se rend au lancement de son association "Répondre à gauche". "Très souvent, on nous demandait : 'Qui est François Hollande ? Que pense François Hollande ?' Nous étions incapables de répondre", confie au Monde Michel Sapin. Dès lors, Hollande va s'attacher à travailler le fond. "Il faut que je sois identifié à un projet politique", déclare-t-il à sa garde rapprochée. C'est finalement la jeunesse qu'il décide de mettre en avant. Le 27 juin 2009, François Hollande prononce un discours programme à Lorient. Il décline alors trois axes programmatiques : un "pacte éducatif", "productif" et "fiscal". Peu de reprises, mais la construction de son programme est en marche.

Hollande, Lorient, 27 juin 2009

D'après sa compagne, Valérie Trierweiler, c'est en septembre 2009 qu'il lui annonce sa candidature : "On en a parlé très tard. Ça a été plutôt à la rentrée de 2009. Il s'est posé la question à voix haute. Qu'est-ce que tu en penses? Ce jour-là, je lui ai dit : "Il n'y a qu'une question à poser, si tu penses que tu es le meilleur, tu y vas, si tu penses qu'il y a quelqu'un de meilleur, tu n'y vas pas". Et il a répondu "Je suis le meilleur". A partir de là, il a tout mis en route pour pouvoir organiser ce chemin-là", a-t-elle indiqué dans une interview à Radio Hollande (la radio du site de campagne).

Pendant près d'une année, Hollande va sillonner le pays pour présenter son projet : Lorient, Périgueux, Paris, Bourg-lès-Valence... "Il a tracé sa route, sans s'intéresser à aucun autre candidat", raconte Faouzi Lamdaoui au Monde. Un travail de terrain donc, inspiré de François Mitterrand, qui sera son modèle pendant cette reconquête : "François Mitterrand est allé partout en France, dans les salles polyvalentes les plus reculées. Quand vous avez rencontré quelqu'un, cela crée un lien qui demeure. J'essaye de faire comme lui", a-t-il confié à Libération. Sur le plan médiatique en revanche, la candidature de Hollande est au point mort. En 2009, DSK, Aubry, Royal apparaissent toujours comme les candidats potentiels pour 2012.

2010, l'année du régime mais toujours loin dans les sondages

Après avoir labouré le terrain et animé de nombreuses réunions publiques, François Hollande fait une rentrée médiatique remarquée à l'été 2010, lors de l'université d'été de La Rochelle. L'ancien Premier secrétaire a étoffé son discours, mais c'est sa transformation physique qui frappe d'abord les esprits. Selon ses proches, cités dans Libération en août 2010, il aurait perdu 15 kilos juste en arrêtant "les frites et la mousse au chocolat à tous les repas". "Il assure qu'il s'agit de se sentir mieux dans sa peau. Invoque un impératif de santé. Mais reconnaît que cette mue physique fait aussi partie de la préparation mentale", détaille le quotidien de gauche.

Hollande à la Rochelle en août 2010

Si sa transformation physique attire les projecteurs, dans les sondages, Hollande est loin derrière ses rivaux. Un sondage CSA effectué les 2 et 3 juin 2010, le crédite de 5% des suffrages aux primaires socialistes. Il est devancé par DSK (28%), Martine Aubry (24%) et même Ségolène Royal 12%. En décembre 2010, toujours selon cet institut de sondage, Hollande n'est même crédité que de 3% (contre 29% pour DSK, 19% pour Royal qui a déclaré sa candidature et 16% pour Aubry).

Sondages primaires socialistes

2011, la nouvelle star des médias, puis des sondages après l'affaire DSK

Le tournant de la pré-campagne de François Hollande intervient au début de l'année 2011. Il est toujours devancé par ses rivaux dans les sondages mais les chiffres remontent doucement. Dans un sondage CSA, réalisé du 17 au 18 janvier 2011, il est crédité de 14% des voix et talonne Martine Aubry et ses 16% (DSK avec 37% des intentions de vote et Ségolène Royal 26% des voix sont loin devant). Un petit frémissement donc, mais qui n'a rien d'extraordinaire. C'est pourtant à ce moment-là qu'il lance son offensive médiatique. Hollande est partout en janvier 2011 comme l'a constaté le site arretsurimages.net : "RTL mardi 25 janvier, RMC le 20, France Info le 19, Les Inrockuptibles le même jour, Canal + le 18. Et surtout la Une de Libération le 12 janvier, qui semble donner le coup d'envoi de cette campagne. Interrogé par le site arretsurimages, le chef du service politique Antoine Guiral justifiait ainsi cette Une : "Même s'ils étaient contradictoires, ce sont les sondages qui nous ont décidé à publier cet ensemble à ce moment-là. Nous l'avions en tête depuis plusieurs semaines, notamment car notre directeur Laurent Joffrin insistait sur le fait que ses divers relais, politiques, médiatiques, culturels, indiquaient qu'il commençait à se passer quelque chose autour de Hollande. Il s'est prêté de bonne grâce au jeu, y compris à cette photo assez étonnante, loin de son image des dernières années d'homme rond et sympa, de chantre de la synthèse molle, dont il est en fait assez éloigné quand on le rencontre en face-à-face. C'est lors de cette interview à Libération que François Hollande avance pour la première fois l'idée qu'il faut un "candidat normal" : "En 2012, il faudra un candidat normal, pas banal mais grave, stable et rassembleur", a-t-il déclaré.

Hollande, l'outsider

Bon client des médias, bénéficiant d'une bonne réputation dans les milieux journalistiques, Hollande devient dès alors l'outsider. Le 31 mars 2011, depuis l'hôtel Marbot de Tulle, siège de l'exécutif départemental de Corrèze, il déclare officiellement sa candidature à l'élection présidentielle. Toujours derrière DSK et Martine Aubry dans les sondages des primaires socialistes entre janvier et mai 2011, tout bascule avec l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn le 16 mai à New York. A partir de cette date, Hollande sera en tête dans quasiment la totalité des sondages pour les primaires socialistes. Et le 16 octobre 2011, il remporte haut la main les primaires socialistes avec 56,57% des voix contre 43,43% pour Martine Aubry. "Ironie de l'histoire : cette primaire ouverte, l'ex-premier secrétaire n'en voulait pas, lui préférant le traditionnel vote de militants supposé plus favorable à sa personne après onze années à labourer le parti d'en bas... Il l'a pourtant empochée, sans coup férir, ou presque", relève Le Monde. Et Stéphane Le Foll, son plus proche conseiller de commenter : "Quand tout le monde s'est levé, j'ai regardé autour de moi et je me suis dit : punaise, mais d'où on vient... On partait de tellement loin..."

Hollande, victoire aux primaires PS

2012, le candidat normal rejoue la partition Mitterrandienne et gagne

François Hollande a fait la course en tête depuis le début de la campagne présidentielle. A l'exception de sa proposition de taxer les revenus à 75%, au-delà du million d'euros, la campagne de François Hollande est restée sans surprise, sans coup d'éclat. "La prise de risque, franchement, à quoi ça aurait servi ? Je préfère gagner une élection présidentielle avec moins d'enthousiasme que de perdre avec beaucoup de ferveur.", reconnaissait-il en toute franchise.

Superstitieux, Hollande s'est systématiquement placé dans les pas de François Mitterrand, à un degré de mimétisme que seuls les initiés ont pu constater. Ainsi, comme l'a raconté Le Monde, "jusqu'à la fin de sa campagne, Hollande aura multiplié les clins d'oeil, les références et les emprunts à celui dont il a dit, meeting après meeting, qu'il voulait être "enfin le successeur"". Hollande a d'abord repris le terme de "candidat sortant", utilisé par Mitterrand pour désigner Giscard en 1981, il a repris le vocabulaire de l'ancien Président socialiste en multipliant les expressions "je m'engage", "cela m'oblige" ou «je ne vais pas mettre mon drapeau dans ma poche". Trente ans après la victoire de 1981, il a également fait le même style de campagne : ""En 1981, Mitterrand nous demandait de lui faire rencontrer le maximum de gens. Il préférait faire deux réunions publiques dans la même journée, quitte à ce que ce soit devant seulement quelques centaines de personnes chaque fois, plutôt qu'un grand meeting. François fait manifestement la même chose", raconte Paul Quilès au Monde.

A chaque étape de la campagne, celle de François Hollande a fait à celle de François Mitterrand. Depuis 1965, Mitterrand terminait ses campagnes par un meeting à Toulouse. C'est ce qu'a fait François Hollande. "En 1981, le candidat socialiste avait choisi, le vendredi avant le second tour, de passer la matinée dans l'Est et l'après-midi dans l'Ouest", raconte Le Monde. C'est exactement ce qu'a fait François Hollande.

Hollande-Mitterrand 1981-2012

En remportant l'élection présidentielle, Hollande succède à Mitterrand et devient le deuxième président de gauche de la Ve République, à la suite d'un parcours qui a surpris tout le monde. Un dirigeant du PS, qui est resté anonyme, n'en est toujours pas revenu : cette victoire est "un invraisemblable concours de circonstances. L'éviction de Dominique, le départ tardif de Martine, la victoire de Joly à la primaire écolo alors qu'Hulot lui aurait pris trois ou quatre points... Ça peut s'appeler le destin, mais c'est surtout beaucoup de chance". Hollande président ? Qui l'eût cru ?

Hollande, discours de Tulle

Hollande fête la victoire à la Bastille



*** Sources
- L. B. et M. E., "De Tulle à l'Elysée, la longue mue du candidat «normal»", Libé, 06.05.2012
- T. W., "Comment Hollande a mis ses pas dans ceux de Mitterrand", Le Monde, 04.05.2012
- D. Revault d'Allonnes, "La longue marche de François Hollande", Le Monde, 23.04.2012
- Dan Israel, "Pourquoi Hollande est partout", Arretsurimages.net, 26.01.2011
- Matthieu Écoiffier, "Un look allégé", Libération, 31.03.2011
- "PS : Hollande veut un "candidat normal", AFP, 12.01.2011
- "Votre atout François Hollande ? "C'est moi !"", LCI, 28.08.2010

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