Sénatoriales : des élections faussées par le vote de "délégués supplémentaires"

Revue de presse · 18 sep. 2008 à 19:41

Grands électeurs au Sénat

Les élections sénatoriales intéressent peu le grand public puisque, dimanche prochain, seuls des grands élus iront théoriquement voter. Les sénatoriales sont des élections qui se déroulent au suffrage universel indirect : ce sont les élus qui désignent les sénateurs. En France, on compte environ 150 000 grands électeurs. Il s'agit des conseillers municipaux, conseillers généraux, régionaux et des députés. Ce mode de scrutin est régulièrement dénoncé par la gauche en raison de la surreprésentation des communes rurales, qui ont tendance à voter plutôt à droite. Mais un autre élément vient entacher la légitimité de ces élections : le site d'information Mediapart révèle que les grands électeurs ne sont pas les seuls à voter. Les grandes communes nomment également des "délégués supplémentaires". Qui sont-ils ? Combien sont-ils ? Quelle est leur légitimité démocratique ?


Source : Mathilde Mathieu, Le bidouillage des grands électeurs, Mediapart, 17 sept. 2008 (SUR ABONNEMENT)

Bidouillage des grands électeurs

Les grands électeurs ne sont pas les seuls à voter

Aux sénatoriales, seuls les conseillers municipaux, généraux, régionaux et les députés sont censés voter. Ce collège électoral comprend environ 150 000 grands électeurs. Depuis la création du Sénat en 1958, la droite a toujours été majoritaire au palais du Luxembourg. Cette absence d'alternance s'explique par le mode de scrutin : les communes rurales, marquées à droite, sont surreprésentées par rapport aux autres agglomérations. La gauche n'a donc jamais réussi à être majoritaire au Sénat. Pourtant, pour tenter d'atténuer ce déséquilibre entre les grandes agglomérations et les communes rurales, les politiques ont inventé un système, méconnu du grand public : le principe des "délégués supplémentaires". C'est le site d'information Mediapart qui révèle l'information : les communes de plus de 30 000 habitants nomment, en fonction de leur taille, des délégués supplémentaires pour voter aux sénatoriales.

Qui sont les délégués supplémentaires ?

Si la loi électorale permet aux grandes agglomérations de nommer des électeurs supplémentaires aux sénatoriales, elle ne précise pas les conditions pour le devenir. Autrement dit, les membres des conseils municipaux ont le droit de désigner n'importe qui comme "délégué supplémentaire". Une véritable omerta règne sur l'identité de ces électeurs fantômes. Mediapart a donc enquêté dans les communes de 12 départements et a pu dresser le profil des "délégués supplémentaires". Il s'agit en général de proches des conseillers municipaux : le frère, la soeur, des amis, c'est-à-dire des personnes de confiance dont le conseiller municipal est sûr qu'ils voteront comme lui. Quand il faut fournir plus d'une centaine de noms, les partis politiques mettent même à la disposition du conseil municipal les listings de leurs militants.

L'exemple de la ville de Toulouse : 69 grands électeurs et 358 délégués supplémentaires

A Toulouse, 69 conseillers municipaux vont pouvoir participer aux élections sénatoriales. Le nombre de grands électeurs est donc assez faible par rapport aux élus des centaines de communes rurales de Haute-Garonne. La ville de Toulouse est donc autorisée à désigner 358 Grands électeurs supplémentaires. Le conseil municipal répartit les 358 places de délégués à la proportionnelle, en fonction du poids des différents groupes politiques. Ensuite, chaque parti se débrouille pour désigner ses délégués supplémentaires.
Mediapart a pu se procurer le listing de ces délégués supplémentaires et les mêmes noms de famille reviennent régulièrement, illustrant ainsi le système de cooptation pour la désignation de ces délégués : les conseillers municipaux envoient leur frère, leur femme, leurs enfants. Par exemple, Mediapart a interviewé une étudiante de 23 ans qui participera au vote dimanche prochain car son père est conseiller municipal. Dans certaines villes, ce sont les secrétaires de mairie ou les chauffeurs qui sont réquisitionnés. L'élection se déroulant un dimanche, le nombre de volontaires est parfois insuffisant...

Un système opaque défendu... par la gauche

Alors que la gauche multiplie les critiques sur le mode de scrutin des élections sénatoriales, pas un mot sur ce système des délégués supplémentaires. Qui ne dit mots, consent, le silence de la gauche s'explique par le fait que le PS cautionne le principe des délégués supplémentaires. Pire, le Parti Socialiste aurait demandé que ce système soit étendu. Selon Mediapart, lors de la discussion sur la réforme des institutions, le PS avait déposé une proposition de loi pour étendre le système des délégués supplémentaires afin de palier à la surreprésentation des communes rurales.
Et voilà comment un système plutôt anti-démocratique, qui fait voter des électeurs cooptés n'ayant aucune légitimité démocratique, se retrouve défendu par l'opposition qui se garde bien d'ébruiter dans les médias toutes les modalités du mode de scrutin.

Une dernière question reste en suspens : combien d'électeurs cooptés vont participer aux élections sénatoriales ? Officiellement, aucune statistique n'existe au Sénat et au ministère de l'Intérieur, chargé de veiller au bon déroulement des élections. Face à ce blackout total, Mediapart a fait ses propres calculs sur la base de 12 départements : les "délégués supplémentaires" représenteraient environ 10% du collège électoral. Pour l'heure, aucun média n'a repris l'information de Mediapart. Dimanche prochain, les Grands électeurs iront donc voter avec leurs fils cachés en toute tranquillité.

*** Liens

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- Sénatoriales : mode d'emploi d'une élection oubliée
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