Les coulisses de la libération d'Ingrid Betancourt : une opération militaire arrangée

Revue de presse · 4 juil. 2008 à 16:09

Libération d'Ingrid Betancourt

Depuis 48 heures, toutes les chaînes de télévision sont mobilisées pour suivre "en direct" la libération d'Ingrid Betancourt. Toute la presse salue l'incroyable scénario de sa libération : infiltrations de la direction des FARC, intervention sans le moindre coût de feu, libération surprise dans le plus grand secret. Sauf qu'une partie de la presse colombienne vient contredire la version officielle de sa libération. Mediapart est le seul média français à s'en faire l'écho. Comment Ingrid Betancourt a-t-elle vraiment été libérée ?

Revue de presse du vendredi 04 juillet 2008

- Mediapart : Betancourt : ce que ne dit pas la version officielle
- NouvelObs : Une rançon aurait été versée pour libérer Betancourt
- Le Figaro : 20 millions de dollars pour libérer Betancourt ?

La version officielle : infiltrations, camouflage, opération secrète

Selon la version officielle du gouvernement colombien, reprise par tous les médias français, l'opération a été préparée depuis plusieurs mois. Les services secrets colombiens auraient réussi à infiltrer au plus haut niveau la direction des FARC. Ils auraient ainsi convaincu la direction des FARC de réunir les 15 otages politiques sous l'autorité du nouveau chef Alfonso Cano, qui a pris la direction des FARC récemment suite au décès du chef historique, Manuel Marulanda. Ce regroupement devait être le préalable à des négociations politiques. C'est au cours de ce transfert que les autorités colombiennes sont donc intervenues. Dans un hélicoptère blanc, appartenant en réalité à l'armée, des soldats colombiens se sont faits pour une association humanitaire chargée de transférer les otages vers le camp du chef des FARC. Le chef du camp d'Ingrid Betancourt devait accompagner les otages. Mais aussitôt entré dans l'appareil, celui-ci a été maîtrisé et les otages ont été libérés. Aucun coup de feu n'a été libéré. "Opération impeccable, parfaite" comme l'a souligné elle-même Ingrid Betancourt.

L'opération militaire secrète ne serait en fait qu'une simple reddition d'un groupe des FARC

En réalité, selon Mediapart, qui a recoupé les informations auprès de journalistes de Radio Caracol, la radio qui diffuse tous les jours des messages à l'intention des otages, de l'agence de presse Anncol, réputé proche des FARC, l'opération serait le résultat de négociations entre le gouvernement et le groupe des FARC qui détenait Ingrid Betancourt et les 14 autres otages politiques. Fatigués de leur vie clandestine et orphelins de leur direction (en deux mois, les FARC ont perdu leur numéro 1 et numéro 2), ils auraient accepté de rendre leurs otages en échange d'argent (la Radio Suisse parle de 20 millions de dollars, payés par les Etats-Unis) et d'une immunité pour leur éviter la prison. Le déroulement de l'opération apparaît alors sensiblement différent de la version officielle. La libération des otages s'est déroulée en 2 étapes.

En mars, le gouvernement colombien localise les otages

Le 1er mars 2008, Paul Reyes, le numéro 2 des FARC, est abattu en Equateur par l'armée colombienne (certaines sources affirment qu'il s'agissait en fait d'appareils américains). L'objectif était clair : stopper les négociations qui allaient aboutir à la libération d'Ingrid Betancourt deux semaines plus tard. Pour le président colombien, Alvaro Uribe, ces négociations qui se déroulaient sans les autorités colombiennes, étaient inacceptables et remettaient en cause la souveraineté de la Colombie, incapable d'obtenir la libération des otages. Depuis son élection en 2002, Alvaro Uribe est sur une position de fermeté vis-à-vis des FARC. L'élimination du numéro 2 s'inscrit donc dans cette logique guerrière et dans le rapport de force qui s'est instauré entre les autorités colombiennes et les FARC.
Mais la saisie de l'ordinateur portable de Paul Reyes va permettre de faire une découverte inattendue : grâce à plusieurs documents contenus dans le PC, les autorités colombiennes vont rapidement identifier les ravisseurs qui détiennent Ingrid Betancourt et localiser les otages au Sud de la Colombie, dans le département amazonien du Guaviare.

Des négociations directes avec le groupe qui détenait Betancourt

Dès que les otages ont été localisés, l'armée colombienne a encerclé la zone et s'est rapprochée du groupe composé d'une centaine de personnes. Les autorités colombiennes ont alors négocié avec le groupe des FARC, en cessant les incursions dans la forêt qui obligeaient le groupe à se déplacer. Pendant plusieurs mois, les négociations vont donc avoir lieu entre des représentants de ce groupe des FARC et les autorités colombiennes. L'armée va faciliter le ravitaillement du groupe des FARC et des otages : médicaments, vivres vont être acheminés, ce qui explique l'apparente bonne santé des otages libérés. Le contraste entre la dernière vidéo d'Ingrid Betancourt où elle apparaissait malade et amaigrie, est saisissant avec les premières images de sa libération. Les otages ont eu le temps de reprendre des forces, même si selon Mediapart, ils n'ont pas eu conscience de ce qui était en train de se passer.

Une reddition négociée, avec le soutien indirect de Nicolas Sarkozy

Les négociations sont restées secrètes jusqu'au bout. Nicolas Sarkozy n'était pas au courant des contacts directs établis par le gouvernement colombien avec les FARC. En revanche, les autorités colombiennes se sont assurées, courant du mois de juin, que la promesse de Nicolas Sarkozy d'accueillir des guérilléros des FARC en France s'ils renonçaient à la lutte armée tenait toujours. En effet, le gouvernement colombien a négocié avec les ravisseurs d'Ingrid Betancourt la libération des otages en échange de l'asile politique. Une fois cette assurance obtenue, les autorités colombiennes ont finalisé l'opération de libération avec les chefs du groupe des FARC qui détenait les otages. Selon Mediapart, "il a évidemment fallu plusieurs semaines pour qu'un maximum de chefs du groupe soient convaincus", il fallait notamment l'assurance qu'aucun coup de feux ne soit tiré.
Le 2 juillet 2008, l'opération est enclenchée : une fausse ONG est censée transporter les otages dans un hélicoptère car les FARC n'ont pas d'appareil. Le reste de l'opération, comme l'exfiltration des soldats des FARC qui se sont rendus, se fera hors caméra.



La version officielle permet aux autorités et à l'armée colombienne en particulier de sortir renforcées. Il n'y a pas eu officiellement de négociations et Alvaro Uribe ne peut pas être accusé d'avoir assoupli sa ligne politique. Dans le même temps, en faisant croire que la direction des FARC a été infiltrée (ce qui semblerait ne pas être le cas) par les services secrets colombiens, le gouvernement espère décourager les autres groupes de FARC pour qu'ils se rendent.

*** Liens

- Dossier complet : 10 questions pour comprendre
- Médias : itinéraire de la preuve de vie d'Ingrid Betancourt
- Urgence humanitaire et raison d'Etat : le président colombien a empêché la libération de Betancourt
- Sarkozy et les FARC dialoguent par médias interposés
- Colombie : la stratégie du pire d'Alvaro Uribe
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- Ingrid Betancourt : otage des FARC et sujet de discorde entre Sarkozy et Uribe

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Infos : site web officiel du comité de soutien d'Ingrid Betancourt

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