Urgence humanitaire et raison d'Etat : le président colombien a empêché la libération d'Ingrid Betancourt

Enquête · 6 mar. 2008 à 23:57

Urgence humanitaire et raison d'Etat

Quelques jours après la mort du numéro 2 des FARC en Colombie, on en sait un peu plus sur les coulisses de l'opération. Les dernières informations qui sont remontées auprès des autorités gouvernementales et des comités de soutien d'Ingrid Betancourt révèlent l'ampleur du scénario inimaginable élaboré par le président colombien, Alvaro Uribe. La mort du numéro 2 des Farc avait pour but d'empêcher la libération d'Ingrid Betancourt au mois de mars. Explications.

Samedi 1er mars 2008 : mort du numéro 2 des FARC

Raoul Reyes a été tué dans un camp se trouvant de l'autre côté de la frontière, en Equateur. Des avions espions ont localisé le chef rebelle en interceptant une communication satellitaire. L'opération a commencé par un bombardement et a été suivie d'une opération terrestre. C'est le coup le plus rude porté à la guérilla marxiste. Mais il intervient à un moment bien précis.

L'Equateur était sur le point d'obtenir la libération d'Ingrid Betancourt

Raoul Reyes était le principal interlocuteur des négociateurs internationaux. Porte-parole des FARC, il était le principal contact d'Hugo Chavez, du gouvernement français, et des autorités équatoriennes. Or, précisément, le président équatorien, Rafael Correa, menait des négociations avancées avec les FARC pour obtenir la libération de 12 otages, dont Ingrid Betancourt.
La libération, à titre humanitaire puisque l'état de santé d'Ingrid Betancourt, atteinte d'une hépatite B, s'est considérablement dégradé, devait avoir lieu avant la fin mars.

Un traquenard monté par le président colombien, Alvaro Uribe

L'Ambassade de France à Quito a déclaré qu'elle était informée des contacts de l'Equateur avec les FARC. Et le président équatorien a fini par lâcher l'information capitale qui explique toute cette opération : Alvaro Uribe était lui aussi au courant que les FARC allaient libérer en mars un groupe de 12 otages dont Ingrid Betancourt. L'intervention militaire colombienne, sur le sol équatorien, était donc préméditée pour empêcher cette libération.

Le double-jeu d'Alvaro Uribe

A chaque avancée, le président colombien a opéré de brusque retournement pour empêcher la libération d'Ingrid Betancourt. A la fin 2007, il avait mis un terme à la médiation du président du Venezuela, Hugo Chavez, au moment où celui-ci était sur le point d'obtenir la libération d'otages. Cette fois-ci, c'était le président de l'Equateur qui était sur le point d'obtenir la libération d'Ingrid Betancourt dans quelques semaines. La venue du président Nicolas Sarkozy à la frontière colombienne pour faciliter la libération était même envisagée. La mort du numéro 2 des FARC et la crise diplomatique entre le Venezuela, l'Equateur et la Colombie remettent tout en cause.

Pourquoi le président colombien veut-il empêcher la libération d'Ingrid Betancourt ?

En réalité, le président colombien empêche la libération d'Ingrid Betancourt pour des raisons politiques : élu sur une ligne dure contre les FARC, Alavaro Uribe est dans une logique de lutte armée. C'est ce message de fermeté qui lui a permis d'être réélu président de la Colombie pour un deuxième mandat. Il garde donc le cap et empêche par tous les moyens la libération de l'otage emblématique de ce conflit. Alvaro Uribe refuse toute négociation politique. C'est dans cet objectif qu'a été décidée la mort du numéro 2 des FARC par les autorités colombiennes, au mépris du travail effectué par l'Equateur, le Venezuela et les négociateurs internationaux.

La libération d'Ingrid Betancourt, entre urgence humanitaire et raison d'Etat

Les FARC sont une organisation terroriste. Ce sont les premiers responsables du calvaire infligé à Ingrid Betancourt depuis plus de six ans. Mais désormais, la prolongation de ce calvaire est à imputer à Alvaro Uribe. Pour des raisons politiques, le président colombien refuse d'envisager la libération d'Ingrid Betancourt. Fin février, Luis Eladio Perez, ancien sénateur tout juste libéré après plusieurs années de captivité, avait déclaré ceci à propos d'Ingrid Betancourt qu'il avait côtoyé en captivité : "Ingrid, elle n'a pas de rancoeur. Elle a pleine conscience de son rôle. Elle a tout le temps qu'il fallait pour réfléchir à ses propositions de gouvernement. Elle sait que ce n'est pas par la violence qu'on mettra fin à la violence". Et il finit par lâcher qu'il est convaincu que son amie sera un jour présidente de Colombie. Une perspective inenvisageable pour l'actuel président colombien.

C'est par la mobilisation de tous les médias et des dirigeants politiques que la famille d'Ingrid Betancourt espère imposer l'urgence humanitaire à la raison d'Etat.



*** Sources
- Communiqué du comité de soutien à Ingrid Betancourt, 6 mars 2008
- Dépêche AFP : "Uribe savait que les FARC allaient libérer Betancourt", 6 mars 2008
- Dépêche de L'Express : "Selon les Farc, Reyes préparait une rencontre avec Sarkozy", 4 mars 2008
- Dépêche du Monde : "L'otage libéré des FARC raconte les moments partagés avec Ingrid Betancourt", 29 février 2008

*** Liens

- Dossier Betancourt
- www.agirpouringrid.com

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