Média : les conséquences politiques de l'information spectacle

Télévision · 10 fév. 2008 à 20:54

Médias et politique

La semaine dernière, l'ancien Premier ministre, Michel Rocard, démissionnait de la commission Pochard sur la revalorisation du métier d'enseignant après plusieurs mois de travaux. Motif de cette démission surprise quelques jours avant la publication du rapport ? Michel Rocard voulait protester contre un titre mensonger du Figaro qui lui faisait dire que les profs devaient être payés au mérite, ce qu'il récuse totalement.
Invité de l'émission télévisée sur internet "@rrêt sur Images", Michel Rocard a pu raconter les coulisses de cette démission et dénoncer les dérives de l'information spectacle et des conséquences politiques de celle-ci.

Arrêt sur Images

L'émission "Arrêt sur Images", diffusée sur France 5, s'est arrêtée en juin 2007. Elle a repris en janvier dernier, mais cette fois-ci sur le net à l'adresse www.arretsurimages.net. Pour un abonnement de 30 euros par an, vous pouvez donc retrouver des articles qui décryptent l'actualité vue par les médias et une émission Sans Durée Fixe, diffusée toutes les semaines. Vendredi dernier, l'invité était donc Michel Rocard.

Arrêt sur Images

L'importance du bruit médiatique : l'exemple de la démission de Michel Rocard

Face à Daniel Schneidermann, David Abiker et Elisabeth Lévi, Michel Rocard a expliqué les raisons pour lesquelles il avait démissionné de la commission Pochard sur la revalorisation du métier de l'enseignant. Lorsqu'il s'est aperçu que le Figaro avait titré "Rocard propose de payer les profs au mérite", Michel Rocard s'est indigné. Le titre allait à l'encontre du contenu de l'interview publiée en page intérieure. Pour démentir cette fausse information, et connaissant l'impact d'un tel titre sur une communauté éducative de plus de 920 000 enseignants, Michel Rocard a rédigé un communiqué à l'AFP dénonçant les méthodes du Figaro. Mais, surprise, l'AFP a refusé de diffuser son communiqué sous prétexte qu'elle ne pouvait pas publier de communiqué remettant en cause "des confrères". Malgré l'insistance de Michel Rocard, l'AFP a donc refusé son communiqué. Il a fallu qu'il en rédige un autre, sur le fond, sans attaquer le Figaro.
Puis, après avoir consulté plusieurs amis journalistes et spécialistes des médias, Michel Rocard a compris que son démenti ne faisait pas le poids face à la polémique déclenchée par le titre du Figaro. En terme de "bruit médiatique", le titre accrocheur du Figaro était plus vendeur pour les médias qu'un sobre communiqué. Dans un système médiatique où l'information spectacle est devenue la règle, l'ancien Premier ministre a donc pensé que le seul moyen de se faire entendre était de provoquer un événement médiatique encore plus fort que le titre du Figaro. Seule sa démission pouvait stopper la machine médiatique et renverser la tendance en sa faveur. Il s'agissait donc d'une démission stratégique pour stopper le matraquage médiatique. C'était le seul moyen pour lui de se faire entendre.

Rocard à Arrêt sur Images

Le pilonnage médiatique paralyse l'action politique

Selon Michel Rocard, l'affichage de Nicolas Sarkozy n'est pas vraiment de son fait. L'affichage est une fatalité dans la vie politique aujourd'hui. La dérive vers l'information spectacle s'accélère. "Le pilonnage médiatique est assassin et personne ne résiste" et ce pilonnage paralyse l'action publique puisque toute décision devient une affaire médiatique avec tous les excès que cela entraîne.
Pour étayer sa thèse, Michel Rocard évoque la création d'une commission. Sur des sujets pointus et difficiles, il est nécessaire que le pouvoir exécutif s'entoure de spécialistes pour réfléchir sur le sujet. Mais la création d'une commission est un événement trop terne pour les médias, cela ne constitue pas un scoop. Pour en faire une information plus forte, les médias vont donc présenter la création de cette commission et les pistes de réflexion comme des décisions. Ainsi, lorsque Nicolas Sarkozy évoque la réforme des institutions, il propose des pistes de réflexion. Mais pour les médias, ces réflexions sont présentées comme des décisions. Et si jamais ces pistes de réflexion ne sont pas reprises dans le rapport définitif, les médias évoquent alors un retrait ou un "recul" du pouvoir. Selon Michel Rocard, ce système médiatique fait que le pouvoir gouverne de plus en plus à l'intuition.

Endiguer le flux d'informations en saturant le système

Face à un système médiatique qui transforme toute information politique en information spectacle pour faire vendre de la presse ou pour attirer plus de téléspectateurs à la télévision, Tony Blair a inventé une stratégie, qui est celle reprise par Nicolas Sarkozy. Pour endiguer le flux d'informations, le pouvoir sature les médias, il offre du contenu quotidien aux médias pour éviter que ces derniers ne paralysent leur action publique. Nicolas Sarkozy a donc appliqué cette stratégie en saturant les médias dans le domaine de l'action politique mais aussi de la vie privée, thème de plus en plus prisé par la presse. Malgré l'efficacité de cette stratégie, Michel Rocard considère que Nicolas Sarkozy ne peut pas tenir cinq ans sur ce rythme. La baisse de sa cote de popularité montre les limites du système de saturation lorsque les citoyens eux-mêmes saturent des informations, notamment celles sur la vie privée.


La théorie de Michel Rocard va à l'encontre du discours dominant qui attribue à Nicolas Sarkozy tous les torts à propos de la mise en scène de sa vie privée. Il dénonce l'information spectacle, portée avant tout par les médias eux-mêmes, plus soucieux de fabriquer des scoops et de vendre plutôt que d'informer de façon sérieuse.

*** Liens

- Sarkozy et les médias : l'information neutralisée par la communication politique
- Sarkozy/Bruni : deux mois, un mariage et une chute dans les sondages
- Média : Nicolas Sarkozy multiplie les procès pour protéger sa vie privée
- Nicolas Sarkozy modifie la nature de la fonction présidentielle

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