Alain Juppé, portrait d'un ministre des Affaires étrangères droit dans ses bottes de militaire

Portraits politiques · 11 avr. 2011 à 08:39

Alain Juppé

Trois guerres, une première. Alain Juppé restera comme le premier ministre des Affaires étrangères ayant à gérer trois guerres à la tête de la diplomatie française : en Afghanistan, en Libye et en Côte d'Ivoire. S'il s'en défend en ne considérant pas l'intervention armée en Côté d'Ivoire de faits de guerre, ce qui se passe sur le terrain y ressemble grandement : envois de troupes, de blindés, bombardement de cibles à Abidjan avec des hélicoptères...

Deux mois après son arrivée au Quai d'Orsay en remplacement de Michèle Alliot-Marie, Alain Juppé est donc droit dans ses bottes de militaire.


Portrait.

Origines et formation

Alain Juppé est né le 15 août, 1945 à Mont de Marsan, dans les Landes. Il est issu d'une famille agricole au penchant gaulliste. Malgré ses origines modestes, il bénéficie de cours particuliers et obtient une bourse pour faire des études à Paris. Très jeune, il se marie, fonde une famille et mène de front de brillantes études. Il intègre l'école de Normale Supérieure, fréquente Sciences po, passe l'agrégation de lettres classiques, sort cinquième de l'ENA en 1970 et choisit de s'orienter alors vers l'Inspection des Finances.

Débuts en politique

S'il affirme avoir voté pour Alain Krivine lors de l'élection présidentielle de 1969, c'est en tant que Chargé de Mission de Jacques Chirac, alors Premier ministre, qu'Alain Juppé commence sa carrière politique, en 1976, après avoir travaillé pendant quatre ans à l'Inspection générale des Finances.
En effet, Chirac est en quête d'un « un agrégé sachant écrire ». C'est Jacques Friedmann, chef de service à l'Inspection des Finances et proche du Premier ministre, qui fait les présentations. Juppé sert de plume à Chirac : il est chargé de lui écrire ses discours.
Quand celui-ci quitte Matignon, Juppé le suit et devient délégué national aux études du nouveau parti, créé par Chirac : le RPR. Sous ces couleurs, il se présente pour la première fois en 1978 aux élections législatives, dans sa ville natale, sans succès. Il renouvelle l'expérience en 1979 en se présentant aux cantonales. Mais il échoue encore. Cela ne l'empêche pas de gravir les échelons : les années 1978-79 sont celles de son rapprochement avec Jacques Chirac, à la mairie de Paris. Il est alors nommé adjoint à la direction des finances et des affaires économiques. En cette même année 1979, il est élu au Conseil national du RPR.

Premiers mandats

Tête de liste aux élections municipales dans le 18e arrondissement de la capitale en 1983, il remporte sa première victoire électorale. Il préfère cependant le poste d'adjoint chargé des finances auprès du Maire de Paris, Jacques Chirac, plutôt que de s'installer à la mairie du 18e arrondissement. En 1984, il est élu député européen. En 1986, c'est son premier mandat de député français qu'il glane dans la 18e circonscription de Paris. Il est réélu en 1988, puis en 1993.

Deux fois ministre en période de cohabitation

Entre temps, sa carrière ministérielle prend son envol. Pendant la première cohabitation de l'histoire de la Ve République, il est ministre délégué au Budget ainsi que porte-parole du gouvernement (1986-1988). En plus de ses fonctions ministérielles, il s'engage dans la campagne présidentielle de 1988, aux côtés de Jacques Chirac. À la fin de la période de cohabitation, il devient secrétaire général du RPR (1988-1984). À la tête du RPR, il s'attache à moderniser les structures du parti et lui donner un nouveau souffle.
Il se fait de nouveau élire au Parlement européen en 1989, mais démissionne quelques mois plus tard pour se consacrer à son mandat de parlementaire national. Il est aussi acteur pendant la deuxième cohabitation de la Ve République, cette fois en tant que ministre des affaires étrangères (1993-1995). Il succède à Roland Dumas qui n'avait pas un goût prononcé pour la gestion administrative. À ce poste, l'ancien inspecteur des Finances décide de prendre les choses en main. Il commande un audit puis annonce en septembre 1993 sa réforme devant les cent soixante ambassadeurs de France convoqués à Paris. L'objectif est que chaque poste diplomatique propose un plan d'action, avec objectifs précis. Les ambassadeurs, au final, acceptent cette réforme qui donne une direction claire.

1995-2002 : de son échec à Matignon à la création de l'UMP

En novembre 1994, Jacques Chirac se déclare une nouvelle fois candidat à la présidence de la République. Alain Juppé devient alors président du RPR. La victoire de Jacques Chirac se transforme en consécration pour M. Juppé : il est nommé Premier ministre. L'année 1995 est celle de tous les succès : il est aussi élu maire de Bordeaux. Entre 1995 et 1997, il dirige deux gouvernements. Son mandat aura été marqué par la grève générale de décembre 1995 (et son intransigeance symbolisée par son expression « droit dans mes bottes »), en protestation à la réforme de la Sécurité Sociale, abandonnée sous la pression sociale. Il est contraint de présenter la démission de son gouvernement en 1997, après la dissolution de l'Assemblée nationale et la défaite de la droite aux élections législatives. Il récupère alors son statut de maire de Bordeaux, auquel s'ajoute celui de député de la deuxième circonscription de Gironde. Il prend également la présidence de la Communauté urbaine de Bordeaux. Il est réélu maire en 2001, et député en 2002, année durant laquelle il devient le Président de l'UMP.

La traversée du désert

En 2004, sa carrière subit un coup d'arrêt, rattrapé par son passé. En 1998, il avait été mis en examen pour « abus de confiance, recel d'abus de biens sociaux, et prise illégale d'intérêt » dans l'affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris. En tant que maire adjoint de Paris en charge des finances, entre 1983 et 1995, il est considéré comme un des principaux éléments du système mis en place pour financer le RPR. En janvier 2004, il est condamné à dix-huit mois de prison avec sursis et à dix ans d'inéligibilité, peine ramenée après appel à quatorze mois de prison avec sursis et un an d'inéligibilité. Il quitte alors ses différentes fonctions de maire, de député et de Président de l'UMP.
En 2006, après une parenthèse en tant que professeur à l'Ecole nationale d'administration publique de Montréal, il décide de se relancer dans la vie politique, avec en tête la reconquête de la mairie de Bordeaux. Il profite de la démission de la majorité du Conseil municipal pour annoncer sa candidature aux élections municipales à venir. Le 8 octobre 2006, avec 56,24% des voix, il redevient dès le premier tour maire de Bordeaux.

Ministre sous Nicolas Sarkozy : deux passages éclairs à l'Ecologie et à la Défense

En 2007, en pleine campagne présidentielle, il apporte son soutien à Nicolas Sarkozy. Il se voit récompensé en étant nommé en mai, ministre d'Etat, de l'Ecologie du Développement et de l'Aménagement durables. La joie n'est que de courte durée. En juin, sa défaite aux élections législatives le contraint à renoncer à son ministère. Il connaît plus de réussite en 2008, en remportant à nouveau les municipales à Bordeaux. En 2010, il revient au premier plan en étant nommé numéro deux du troisième gouvernement de François Fillon, en tant que ministre d'Etat, ministre de la Défense et des Anciens combattants.

Ministre des Affaires étrangères en remplacement de MAM

Suite à la démission de Michèle Alliot-Marie en février 2011, Juppé est propulsé au ministère des Affaires étrangères et présenté par la presse comme le sauveur de la diplomatie française. Mais ce n'est pas sans condition qu'il accepte ce prestigieux poste. Il veut avoir carte blanche et pouvoir piloter son ministère sans l'intervention permanente de la cellule diplomatique de l'Élysée pilotée par Claude Guéant. Nicolas Sarkozy se résout donc à se séparer de son plus proche collaborateur en le faisant entrer au gouvernement : Guéant est nommé ministre de l'Intérieur. Dès son arrivée au Quai d'Orsay, Alain Juppé est confronté à de nombreux dossiers complexes avec les révolutions arabes en Libye, en Tunisie et en Egypte.
Malgré la promesse d'avoir les coudées franches, Juppé est rapidement court-circuité à la tête de la diplomatie. C'est à Bruxelles qu'il découvre, stupéfait, que la France a officiellement reconnu le Conseil national de transition (CNT) des insurgés libyens suite à l'intervention de Bernard-Henri Lévy auprès de Nicolas Sarkozy. Cet événement marque le point de départ de l'intervention militaire française en Libye. Quelques semaines plus tard, toujours sous couvert de l'ONU, la France intervient militairement en Côte d'Ivoire pour chasser du pouvoir Laurent Gbagbo.
Dès lors, à la tête d'une diplomatie triplement en guerre (en Afghanistan, en Libye et en Côte d'Ivoire), tout le travail d'Alain Juppé consiste à habiller autrement ces interventions armées et d'éviter ce mot tabou. Un vrai travail d'équilibriste.


Par Pablo Ahumada et Anne-Sophie Demonchy



*** Sources
- Bernard Lachaise, « Alain Juppé» in Dictionnaire historique de la vie politique française au XXème siècle, sous la direction de Jean-François Sirinelli, PUF, 1995
- Patrick Coquide, "Alain Juppé, programme pour monter", L'Expansion, 14 avril 1995
- Marion Mourgue, "Juppé, l'éternel retour", Bakchich, 20 avril 2009
- Jean Guisnel, "Alain Juppé, poids lourd pour les armées", Le Point, 14 novembre 2010
- Bruno Jeudy, "Juppé, Premier ministre bis", Le JDD, 26 février 2011
- Maurice Szafran, "Exit Juppé !", Marianne, 14 mars 2011

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