Ecoutes téléphoniques : Xavier Bertrand suivrait de (trop) près les activités des journalistes

Revue de presse · 13 nov. 2008 à 20:38

Xavier Bertrand, écoutes téléphoniques

Une biographie non autorisée de Xavier Bertrand, ministre du travail, vient de sortir. Intitulé "Le chouchou", l'ouvrage revient sur la rapide ascension de celui qui n'est devenu député qu'en 2002. Aujourd'hui membre du G7, les ministres proches de Nicolas Sarkozy, Xavier Bertrand est souvent présenté comme le préféré du président et le probable successeur de François Fillon à Matignon. Dans ce livre, les journalistes révèlent que le ministre, qui a refusé de les recevoir, a suivi de très près la préparation du livre, de trop près même, puisqu'ils soupçonnent le ministre d'avoir bénéficié d'écoutes téléphoniques sauvages.


Source :
- Mediapart : Des écoutes téléphoniques sauvages au gouvernement ? (SUR ABONNEMENT)

Les entretiens préparatifs à la rédaction de la biographie

Christophe Jakubyszyn (journaliste au Monde) et Muriel Pleynet (journaliste pour La Chaîne Parlementaire) ont enquêté plusieurs mois pour écrire la première biographie sur le ministre du travail, Xavier Bertrand. Ancien chiraquien, passé dans le camp Sarkozyste quelques mois avant la présidentielle, le ministre du travail fait partie des préférés de Nicolas Sarkozy. Les deux journalistes ont donc interviewé quelques responsables politiques pour en savoir plus sur lui : François Baroin, ancien ministre de Raffarin, François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, Raymond Soubie, conseiller social de Nicolas Sarkozy, ont notamment été consultés. Le journaliste du Monde a également eu Dominique de Villepin au téléphone.

Quand Dominique de Villepin qualifie Bertrand de "traître sans couilles"

L'ancien Premier ministre est réputé pour ses insultes fleuries contre ses ennemis politiques. A chaque fois, ses propos sont "off" et retranscris de manière anonyme dans la presse. Au cours de leur enquête, les journalistes ont découvert que Dominique de Villepin avait qualifié Xavier Bertrand de "traître sans couilles" fin 2006 lorsque celui-ci avait soutenu Nicolas Sarkozy pour la présidentielle, alors même qu'il était toujours ministre dans le gouvernement Villepin. Le journaliste du Monde, Christophe Jakubyszyn, avait donc l'intention de publier les propos de Villepin.
Pour éviter une nouvelle polémique en pleine affaire Clearstream (Dominique de Villepin n'a pas bénéficié d'un non lieu) avec le camp Sarkozy, l'ancien Premier ministre a appelé le journaliste pour lui demander de ne pas publier ses propos insultants. Christophe Jakubyszyn a refusé.

Le conseiller de Xavier Bertrand aurait eu le verbatim de la conversation

Le 18 septembre 2008, les deux journalistes ont quasiment bouclé leur biographie. Ils souhaitent, pour finir, s'entretenir avec Xavier Bertrand lui-même. Le ministre refuse et suggère à son chef de cabinet, Michel Bettan, de les recevoir. Selon les journalistes, la conversation est tendue, le chef de cabinet reprochant aux journalistes de vouloir publier une biographie à charge. Michel Bettan leur fait savoir que le ministre est d'ailleurs au courant de leur travail et connaît le nom des responsables politiques qui ont été consultés.
A un moment de la conversation, le chef de cabinet de Xavier Bertrand va plus loin : "Même Villepin, vous l'avez appelé... D'ailleurs, Christophe, souviens-toi de ce que t'a dit Villepin. Il t'a appelé un samedi après-midi de son téléphone de voiture pour te mettre en garde sur ce que tu allais dire, et te demander de ne pas citer des propos qu'il avait tenus sur Xavier et qui t'ont été rapportés de manière anonyme !"
De l'aveu même du journaliste, "ces paroles [lui] font l'effet d'un coup de poing". Comment le conseilleur de Xavier Bertrand sait-il avec autant de précisions la teneur de la discussion avec Dominique de Villepin ? Mal à l'aise, le chef de cabinet de Bertrand explique que Villepin a raconté la conversation au cours d'un dîner en ville.
Le lendemain, le journaliste a téléphoné à Dominique de Villepin pour lui demander si la version du chef de cabinet était vraie. L'ancien Premier ministre s'esclaffe : "Eh bien, mon vieux, nous sommes écoutés ! Soit vous, soit plus vraisemblablement moi (...) je fréquente assez peu les dîners en ville, mais je n'étais surtout pas en France depuis notre dernier appel. Et puis, vous savez, compte tenu de ce que vous voulez écrire me concernant, croyez-vous vraiment que j'aurais intérêt à le raconter ?". Interrogé par Mediapart, le journaliste du Monde en est maintenant convaincu : "Il n'y a aucun doute que l'entourage de Xavier Bertrand possédait le verbatim de ma conversation avec Villepin". D'ailleurs, en privé, l'ancien Premier ministre affirme qu'il serait suivi et sur écoute.

Quand Xavier Bertrand lit les articles avant même leur parution

Ce n'est pas la première fois que le journaliste du Monde, Christophe Jakubyszyn, soupçonne le cabinet du ministre du travail d'avoir accès à des informations de manière anormale. Le 18 janvier 2008, le journaliste termine un article sur les relations tendues entre Xavier Bertrand et Christine Lagarde. Le journal boucle à 10h30. Un quart d'heure avant, le journaliste a envoyé son article au service relecture. Et à 10h25, Christophe Jakubyszyn reçoit un coup de fil du chef de cabinet de Xavier Bertrand protestant contre la teneur de l'article. Stupeur du journaliste qui demande aussitôt au conseiller de Xavier Bertrand comment il a pu connaître le contenu d'un article qui n'a pas encore été publié. Après enquête, il s'avère qu'à 10h25, l'article n'avait pas été mis en ligne sur lemonde.fr, ni évoqué dans une newsletter, encore moins transmis par mail au chef de cabinet. Au journal, l'affaire a été prise au sérieux, mais aucune explication n'a été trouvée.
Vers midi, le chef de cabinet de Xavier Bertrand a rappelé le journaliste. "Mon Christophe, dit-il, je suis avec le ministre, on t'a joué un tour... on t'a taquiné. C'est toi qui nous as lu un paragraphe de ton article, on a juste relevé une phrase qui nous semblait erronée". Explication fumeuse qui agace particulièrement le journaliste qui a l'impression qu'on le "prend pour un imbécile". Là encore, pas de preuve, mais de fortes présomptions.



Dans ce genre d'affaires, le fantasme peut prendre le pas sur la réalité. Depuis l'affaire des écoutes téléphoniques sous François Mitterrand, l'enregistrement des conversations est juridiquement très encadré. Mais les faits relatés par les deux journalistes sont troublants et ne trouvent aucune explication rationnelle. Le gouvernement a-t-il effectivement recours à des écoutes téléphoniques sauvages ? La question reste en suspens...

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