La crise du journal Le Monde est-elle politique ?

Enquête · 16 jan. 2008 à 20:52

Journal Le Monde

Le journal de référence de la presse française est dans une zone de turbulences depuis plusieurs semaines. A l'origine, il y a une divergence de stratégie. Lorsque Jean-Marie Colombani prend la tête du Monde en 1994 le journal est dans une situation critique financièrement. Avec l'aide d'Edwy Plenel, il va relancer le titre de manière spectaculaire. Toutefois, sa stratégie d'acquisitions sans fin (journaux régionaux, magazines) a fini par creuser le déficit du groupe Le Monde. En mai dernier, Jean-Marie Colombani a donc été poussé vers la sortie. Un nouveau directoire a été nommé. Mais coup de théâtre, fin décembre, la nouvelle direction du Monde a présenté sa démission suite aux divergences de vue avec la Société des rédacteurs. En réalité, derrière des hésitations stratégiques se cache une petite manoeuvre plus politique. Décryptage.

Les mésaventures du Monde en 4 épisodes

1. Le groupe doit se désendetter. Le nouveau directoire a donc commencé à vendre les multiples acquisitions faites par Jean-Marie Colombani afin de renflouer les caisses. L'objectif final est recentrer le groupe sur quelques titres et sur le journal quotidien du même nom.
2. Une recapitalisation pour renflouer les caisses. Le Monde doit de l'argent à ses créanciers. Le nouveau directoire a donc évoqué la possibilité d'une recapitalisation, c'est-à-dire le recours à des investisseurs extérieurs sans porter atteinte à l'indépendance du journal.
3. La crise avec la société des rédacteurs du Monde (SRM). La nouvelle direction et la Société des Rédacteurs était en froid depuis l'annonce de la forte augmentation de salaire des trois nouveaux dirigeants. Mais l'évocation d'une possible recapitalisation, synonyme de baisse d'influence de la SRM dans le capital du groupe, a été la goutte d'eau qui a fait déborder la vase. La SRM a donc désavoué la stratégie des nouveaux dirigeants, qui ont fini par démissionner.
4. Le directeur du journal reste en place. Début janvier, Eric Fottorino, directeur du journal, a fait machine arrière pour éviter que le groupe ne soit placé sous une autorité administrative, faute de direction. En accord avec la société des rédacteurs, il s'est même porté candidat pour prendre la direction du Monde.

Lemonde.fr, objet de toutes les convoitises

A l'origine de cette crise, il y a les divergences de stratégie entre le journal papier et le site Internet. Le Monde et Le Monde Interactif, qui édite le site, sont deux entités différentes, la rédaction web n'étant même pas dans les locaux de la rédaction papier. Or, si le journal papier perd de l'argent, le site internet commence à en gagner. Pour les nouveaux dirigeants qui ont démissionné fin décembre, il ne faut pas toucher au Monde Interactif. Or, pour la Société des rédacteurs du Monde, il faut que les deux entités se rapprochent, que les deux rédactions soient regroupés sur le même site. Par ailleurs, la SRM souhaite que les bénéfices du site Internet servent à renflouer les caisses de la version papier. Après tout, Lemonde.fr n'est qu'un dérivé du Monde.

Le rôle ambigu d'Alain Minc

L'histoire résumée en 4 épisodes est la version officielle. Mais peu à peu, on découvre une toute autre histoire avec comme protagoniste principal : Alain Minc. Ce dernier est le président du conseil de surveillance du Monde. Il doit quitter ce poste en mars 2008, poussé vers la sortie par la Société des rédacteurs du Monde qui lui reproche sa proximité avec Nicolas Sarkozy. Alain Minc est un homme d'affaires très influent, au carnet d'adresse bien fourni.
Selon plusieurs sources, Alain Minc a rencontré Arnaud Lagardère au mois de décembre pour lui demander si le groupe Lagardère était prêt à augmenter sa participation dans le groupe Le Monde. Il a également rencontré les dirigeants de Prisa (éditeur du quotidien espagnol El Pais) pour les mêmes raisons. Tous deux ont donné leur accord de principe.

Et si Le Monde était récupéré par les Sarkozystes ?

Les tensions entre la nouvelle direction et la Société des rédacteurs du Monde étant montées d'un cran en novembre, il n'a pas fallu grand chose pour pousser à la rupture. Alain Minc a peut être joué ce rôle pour arriver à ses fins. Car au final, si le groupe Lagardère augmentait sa participation dans le groupe Le Monde, celui-ci pourrait perdre son indépendance. Arnaud Lagardère est en effet un ami intime de Nicolas Sarkozy.


Les différents acteurs du groupe Le Monde prennent peu à peu conscience du piège dans lequel le journal est en train de tomber. C'est en raison de cette tentative de prise de contrôle que le directeur du journal, Eric Fottorino, est revenu sur sa démission et s'est porté candidat à la présidence du groupe. L'indépendance du journal est en train de se jouer.

*** Liens

- Un ancien journaliste du Monde publie une enquête à charge contre Alain Minc
- Sarkozy et les médias : l'information neutralisée par la communication politique
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- L'Elysée tente de verrouiller sa communication

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