De son arrivée à Paris en tant que jeune fille au pair à son ascension au sein de la magistrature puis de sa conversion à la politique, retour sur le parcours atypique d'Eva Joly.
Gro Eva Farseth est née le 5 décembre 1943 en Norvège, dans un quartier pauvre d'Oslo : Motzfelds Gate. Son père est employé dans une fabrique d'uniformes militaires. À 21 ans, elle décide de quitter son pays pour la France afin de suivre des cours de droit. Pour financer ses études, elle devient jeune fille au pair dans une famille bourgeoise, particulièrement aisée, du VIe arrondissement de Paris. Très vite, le fils Joly, Pascal, s'éprend de Gro et réciproquement. Pascal Joly se réserve une belle carrière : il fait des études de médecine. Il envisage de se marier avec la jeune fille au pair alors que son père, Jean-Paul Joly, un ophtalmologiste de renom, le met en garde contre cette étrangère qui n'est qu'une employée de maison. Le jeune homme est donc sommé de changer d'avis et de fonder une famille dans la droite lignée bourgeoise des Joly. Malgré l'avis paternel, en juillet 1967, Pascal Joly et Gro Farseth se marient, en grande pompe, à Oslo. La jeune femme adopte désormais son second prénom : Eva.
Le couple s'installe dans un studio parisien, loin du luxe des parents Joly. Tandis que lui achève ses études de médecine, elle poursuit son droit tout en travaillant. Elle est employée en 1970 dans la société d'Eddie Barclay comme secrétaire. Parce qu'elle ne supporte pas les injustices, elle crée une section CFDT et en prend la tête. Après quelque temps chez Barclay, elle se fait licencier. Elle accepte alors différents boulots : elle fait de la décoration d'intérieur puis du stylisme. Elle s'intéresse à la mode, essaie de percer dans cette voie, présente une collection en hiver 1971 mais au bout de deux ans se lasse et décide d'abandonner cette activité.
Puisque Pascal Joly a obtenu son diplôme de médecin, le couple quitte Paris pour s'installer dans une maison, dans le village de Bouray dans l'Essonne. De son côté, Eva Joly, qui a également fini ses études de droit, entre comme conseillère juridique dans l'hôpital psychiatrique d'Etampes. Elle est chargée de défendre les droits des malades, de les conseiller dans leurs démarches juridiques.
Après avoir été conseillère juridique pendant six ans, Eva Joly entrevoit de nouvelles perspectives de carrière. Elle décide de passer le concours de la magistrature. Elle réussit et obtient en 1981 un poste de procureur à Orléans. Mais de nouveau, ce poste ne lui sied guère. Elle découvre une justice trop lente, trop complaisante à l'égard de ceux qui ont le pouvoir. Sans pour autant abandonner la magistrature, elle demande à être mutée. Elle devient alors substitut à Evry. Mais la situation ne lui convient pas davantage, estimant que la justice telle qu'elle est exercée ne peut satisfaire les plaignants. Au bout de six ans, elle abandonne ce poste qui décidément ne correspond pas à ses aspirations.
En 1989, elle trouve un détachement au Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) qui est chargé d'aider les entreprises en difficulté dans les zones sinistrées. Contrairement à ce qu'elle a vu auparavant, cette fois, le traitement des affaires est rapide et en quelques mois, le Ciri rend sa décision. En 1992, Eva Joly est promue secrétaire générale adjointe du Comité, une fierté pour celle qui, contrairement à ses prédécesseurs, n'a pas fait l'Ena.
En 1990, Eva Joly devient juge d'instruction au pôle financier du palais de justice de Paris. Une responsabilité de taille pour cette femme avide d'en découdre avec les injustices et la domination des plus aisés. Elle s'attaque donc avec pugnacité aux affaires politico-financières comme Elf ou Dumas. Dès lors, Eva Joly sort de l'ombre et veut faire connaître au grand public les scandales financiers de l'époque. Très vite, ses agissements agacent ses confrères. Elle applique une méthode toute personnelle pour mener ses dossiers qui tranche avec celle pratiquée jusque-là : une méthode agressive, peu bienveillante à l'égard des puissants qui détournent ou blanchissent l'argent de leur société. Ses interrogatoires sont réputés pour être sans concession. Au cours de ces dix années en tant que juge d'instruction, Eva Joly est une sorte d'icône de la justice auprès de l'opinion, femme prête à tout pour conduire en prison les puissants magouilleurs et défendre les plus faibles. En revanche, du côté des politiques comme des avocats, la juge est redoutée. Elle est l'objet de menaces diverses. De nombreuses rumeurs courent sur elle : elle serait à la tête d'une internationale de juges, ou soumise à une puissance étrangère. Bref, certains veulent la déstabiliser et attendent sa chute.
C'est grâce à l'affaire Elf que la juge d'instruction fait son apparition dans les médias. Pour la première fois en France, un grand patron, Loïk Le Floch-Prigent, est condamné à de la prison ferme pour détournement d'argent. L'opinion publique applaudit celle qui a été capable de faire face à la pression des puissants. A partir de cette condamnation du 5 juillet 1996, Eva Joly apparaît en photo dans tous les journaux. Après l'affaire Elf, c'est Roland Dumas qui l'intéresse : il est mis en examen pour recel de biens sociaux. Contrairement aux pratiques habituelles, la juge convie les médias le 29 avril 1998 à la perquisition de la propriété de Roland Dumas à Saint-Selve. Face à ce battage médiatique, le président du Conseil constitutionnel démissionne.
Toutefois, si la classe politique s'inquiète de l'ouragan Joly prêt à dynamiter le système, certains agissements de la juge sont répréhensibles. Ainsi, on lui reproche de ne pas respecter les devoirs de réserve et de discrétion auxquels tout juge est soumis. En effet, Eva Joly ne s'encombre pas de ces impératifs : elle se rend à la télévision pour évoquer des affaires en cours, participe à des débats, donne son point de vue.
Ses façons agressives et ses sous-entendus à l'égard d'avocats rémunérés par le blanchiment d'argent agacent fortement et soulèvent la colère des avocats... En 2001, à cause des conflits entre Eva Joly et les avocats de Loïk Le Floch-Prigent, celui-ci demande à être interrogé par un autre juge d'instruction. Eva Joly doit céder sa place à Renaud Van Ruymbeke qui a des méthodes plus conventionnelles. Face à cette situation de crise, la juge demande une mutation qui lui est refusée.
A la même époque, elle apprend que de nombreuses personnes dont elle avait dirigé l'enquête sont mises hors de cause. C'est le cas d'André Levy-Lang ou de Roland Dumas, tous deux relaxés. Parce qu'elle ne souhaite plus continuer à exercer dans ces conditions de fortes pressions, Eva Joly, devenue veuve, décide de rentrer en Norvège en 2002.
A Oslo, on lui propose un poste de conseillère du gouvernement pour la lutte contre la corruption et la délinquance financière internationale. Parallèlement, elle décide d'écrire un livre afin de faire connaître au grand public la corruption qui gangrène la démocratie : « Notre affaire à tous ». En 2003, avec son éditeur Laurent Beccaria, elle écrit « Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ? » Alors que le livre devait sortir le 18 juin, la mise en vente est retardée sous la pression de la Confédération nationale des avocats qui demande en référé la suspension de sa parution : ce même jour le procès de l'affaire Elf commence. Or, il est question de cette affaire dans le livre. « Est-ce dans ce monde-là que nous voulons vivre ? » sort en librairie le 8 juillet malgré le mécontentement d'Eva Joly qui estime qu'on essaie de la censurer. Le livre devient très rapidement un best-seller, et paraît dans une quinzaine de pays.
En 2008, Eva Joly décide de commencer une carrière politique. Pendant un temps, des rumeurs courent selon lesquelles elle suivrait le MoDem. Mais le parti de François Bayrou est trop isolé dans le paysage politique pour être assuré d'emporter des postes de députés européens. Opportuniste, Eva Joly cherche donc à être en position éligible. Daniel Cohn-Bendit la contacte alors pour connaître ses motivations. Lors d'une rencontre au Cercle norvégien de Paris, ils scellent leur union : elle dirigera avec lui la liste de l'Union des écologistes en Ile-de-France lors des élections européennes en juin 2009. Tous deux partagent un même intérêt pour la planète et la lutte contre la corruption. Eva Joly dénonce notamment le pillage par les multinationales des richesses naturelles. Son engagement pour la protection de l'environnement et ses chances d'être élue expliquent donc son ralliement à Daniel Cohn-Bendit. Les Européennes de 2009 se concluent par un franc succès d'Europe Ecologie avec un score national de 16,26% des suffrages.
Avec ce bon score aux élections européennes, et celui régionales de 2010 (12,12%), le parti écologiste espère obtenir un résultat honorable à l'élection présidentielle de 2012. Et pour y parvenir, la direction réfléchit au candidat qui pourrait rassembler les différents courants écologistes. Suite à un sondage de L'Express, en avril 2010, Eva Joly apparaît comme la favorite avec 12% des intentions de vote au premier tour de la présidentielle devant Cécile Duflot avec 9%. Certains dirigeants du parti envisagent sérieusement la candidature de l'ancienne juge comme la plus évidente.
C'est l'eurodéputé et ancien directeur de campagne de Greenpeace, Yannick Jadot, qui suggère à Eva Joly de se présenter. L'information sort dans les médias alors même que la future candidate n'a pas donné sa réponse. Finalement, portée par Daniel Cohn-Bendit qui estime qu'elle peut être la candidate des Verts, Eva Joly annonce qu'elle est candidate à l'élection présidentielle de 2012 à condition d'avoir le soutien du parti dans sa totalité et par conséquent de ne pas entrer en rivalité avec Cécile Duflot. Celle-ci répond en août 2010 qu'elle ne souhaite pas se présenter.
Rapidement, Eva Joly obtient de nombreux soutiens, comme le numéro 2 du parti, Jean-Vincent Placé qui estimait pourtant qu'elle ne pouvait incarner la candidature des Verts, étant donné son âge et son parcours professionnel.
Pourtant, si tout semble être réglé, Nicolas Hulot, considéré par un Français sur trois comme la personnalité écologiste la mieux placée dans la course présidentielle, annonce qu'il souhaite lui aussi se présenter à l'élection présidentielle. Le conseil fédéral du parti écologiste décide d'organiser une primaire pour désigner le candidat à la présidentielle. Entre les deux principaux candidats, la campagne semble serrée puisque d'un côté, Hulot bénéficie de sa popularité en tant qu'ancien animateur de l'émission Ushuaïa, de l'autre côté, Eva Joly apparaît comme une candidate droite et intègre. La campagne est virulente entre les deux candidats. Eva Joly s'attaque à Hulot en dénonçant sa proximité avec Jean-Louis Borloo. Au premier tour, elle arrive très largement en tête, manquant de peu la victoire au premier tour. Les deux autres candidats, Stéphane Lhomme et Henri Stoll, ne recueillent respectivement que 4,44 % et 5,02 % des suffrages. Au second tour, le 12 juillet 2011, Eva Joly l'emporte avec 58,16% des voix. Elle est donc la candidate à l'élection présidentielle d'Europe écologie-les Verts.
Elle entre immédiatement en campagne pour la course à l'élection présidentielle. Ainsi, dès le 14 juillet 2011, elle propose de supprimer le défilé militaire sur les Champs-Elysées et de le remplacer par un « défilé citoyen ». L'occasion pour ses adversaires politiques de remettre en cause sa légitimité de candidate en raison de ses origines scandinaves. Le Premier ministre, François Fillon, affirme, par exemple, dans une déclaration publique : « Je pense que cette dame n'a pas une culture très ancienne de la tradition française, de l'histoire française et des valeurs françaises. » Marine Le Pen y va aussi de son refrain sur ses origines. Les polémistes s'y mettent aussi. Le 1er décembre 2011, Patrick Besson se moque, dans l'une de ses chroniques, de son accent étranger : « Zalut la Vranze ! Auchourt'hui est un krand chour : fous m'afez élue brézidente te la République vranzaise. » Eva Joly dénonce une attaque raciste. Finalement, la candidate décide de faire de cet accent un atout. Elle tourne un clip et affirme : « Je veux être la candidate des accents et du sang-mêlé ».
Alors qu'elle s'est engagée auprès de la direction du parti Europe Écologie - les Verts à aider la gauche à emporter les élections, dès novembre 2011, Eva Joly prend ses distances par rapport au PS. N'ayant pas été consultée au sujet de l'accord signé avec le PS, la candidate veut marquer son désaccord. En effet, Europe Ecologie - les Verts acceptent de signer un accord avec le PS en vue des législatives de 2012 alors que la sortie du nucléaire et l'abandon de l'EPR de Flamanville ne figurent plus dans le texte final. Eva Joly refuse de répondre favorablement aux interviews sur ce sujet et au micro de RTL, le mercredi 23 novembre 2011, elle n'affirme pas explicitement qu'elle appellera à voter François Hollande au second tour de la présidentielle tout en déclarant : "Je ne me trompe pas d'ennemi. Mon objectif est de battre Nicolas Sarkozy." Suite à cette maladresse, Yannick Jadot, démissionne de l'équipe qui dirige sa campagne.
Pour tenter d'apaiser les tensions au sein même du parti, en décembre 2011, Eva Joly constitue son équipe. Finalement, Yannick Jadot, qui avait annoncé sa démission, fait désormais partie du conseil stratégique animé par Cécile Duflot et Noël Mamère. Eva Joly offre le poste de porte-parole à deux anciens candidats à la présidentielle, Dominique Voynet et José Bové ainsi qu'à Michèle Rivasi. Enfin, Xavier Emmanuelli, fondateur du Samu social, rejoint l'équipe d'Eva Joly pour s'occuper du volet social de la campagne.
Reste à définir un axe de campagne. Dans un article du Monde, le directeur général d'Ispos montre que l'orientation est claire : « Les écologistes ont gagné le combat sur la transition énergétique auprès de l'opinion. Eva Joly a donc la possibilité d'avoir d'autres axes de campagne ». Aussi pour Eva Joly, elle vise un objectif précis : œuvrer pour une « République exemplaire ». Sergio Coronado, son conseiller à la présidentielle, rappelle que ce thème sied non seulement à l'ancienne juge mais au parti qui s'est toujours inscrit dans cette tradition : « On l'oublie parfois, mais la véritable percée des écologistes en France, que l'on peut dater de 1992, correspond à une période où le PS est embourbé dans le scandale Urba-Gracco et où nous, les écologistes, menions le combat contre Alain Carignon à Grenoble », déclare-t-il.
Malgré une nette victoire aux primaires écologistes, Eva Joly peine à décoller dans les sondages en ce début de campagne. Selon le baromètre BVA de janvier 2012, elle affiche 4% d'intentions de vote, bien loin des 12% d'avril 2010, au moment où les écologistes avaient envisagé sa candidature.
Anne-Sophie Demonchy
*** Sources
- Gilles Gaetner, "Eva Joly, l'inflexible", L'Express, 21 octobre 2003
- Gérard Davet, "Eva Joly, la tentation de Bruxelles", Le Monde, 25 septembre 2008
- "Comment Eva Joly a gagné l'investiture écologique", Lemonde.fr, 11 juillet 2011.
- Anne-Sophie Mercier, "Eva Joly fait appel à Voynet et Bové pour renforcer son équipe de campagne", Lemonde.fr, 1er décembre 2011.