Du foulard au voile intégral, histoire d'un débat très politique

Questions d'actualité · 14 juil. 2010 à 12:12

Voile et niqab

L'Assemblée nationale vient de voter l'interdiction du port du voile intégral dans les espaces publics en France. Depuis plus de vingt ans, le voile et ses multiples dérivés reviennent régulièrement dans le débat public. Il y a d'abord eu le débat sur le foulard islamique en 1989 (voile que certaines femmes musulmanes se placent sur la tête en laissant le visage apparent). Depuis 2001, c'est la burqa (voile afghan qui cache le visage et les yeux) et le niqab (voile intégral qui cache le visage mais laisse généralement apparaître les yeux) qui posent problème.


Retour sur vingt années de débats et de lois.

1989 : l'affaire de Creil

Avant 1989, la question du port du voile ne se posait pas à l'école puisque les élèves assistaient à leurs cours tête nue. Mais à la rentrée de 1989, la situation change. À Creil (dans le Val d'Oise), trois collégiennes, âgées de 13 et 14 ans, se présentent voilées dans leur établissement. Le principal du collège réagit immédiatement et envoie un courrier à leurs parents leur expliquant que le port du voile est incompatible avec le bon fonctionnement d'une école laïque. Les parents refusent cet avertissement et leurs filles sont renvoyées le 18 septembre du collège. À cette époque, le vice-président de SOS racisme, Malek Boutih défend ces parents en s'indignant de l'attitude de ce principal qui ne respecte pas les croyances personnelles. Gisèle Halimi, qui fait partie de l'association, démissionne. Le port du voile n'est pas qu'un problème de foi, c'est aussi une soumission de la femme. Le ministre de l'Éducation nationale, Lionel Jospin, intervient dans la polémique rappelant que l'école est laïque et que par conséquent, il ne faut pas afficher de manière ostentatoire des signes religieux tout en répétant que « l'école est faite pour accueillir les enfants et pas pour les exclure » (« devoirs religieux et cas de conscience laïcs » in Libération, mardi 10 octobre 1989). Par conséquent, les trois élèves réintègrent leur collège après avoir trouvé un arrangement : elles n'ont pas le droit d'assister à leurs cours en foulard mais ont la permission de le remettre dès leur sortie de classe.
De son côté, le Conseil d'État, consulté par Jospin, émet un avis plus prudent encore : « Dans les établissements scolaires, le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n'est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l'exercice de la liberté d'expression et de manifestation de croyances religieuses » et le renvoi d'école « ne serait justifié que par le risque d'une menace pour l'ordre dans l'établissement ou pour le fonctionnement normal du service de l'enseignement ».
Finalement, Lionel Jospin publie en décembre une circulaire qui ne se positionne pas clairement : ce sont aux enseignants de décider s'ils acceptent ou non le voile en classe.

L'emballement médiatique des années 1990

Malgré l'avis du Conseil d'État, les médias font leurs choux gras du débat sur le port du voile islamique. Les cas de renvois de jeunes filles refusant d'ôter leur foulard en classe se multiplient et les positions des associations antiracistes comme des acteurs de l'Éducation nationale se durcissent. Par exemple, dans un lycée professionnel d'Avignon, suite au renvoi d'une jeune fille portant le voile, huit élèves se présentent couvertes d'un foulard en soutien à leur amie. Le quotidien régional, Le Provençal, fait un reportage sur le port du foulard, en octobre 1989, intitulé « La guerre du voile n'aura pas lieu ». Quelques jours plus tard, Libération consacre un de ses sujets au tchador puis un dossier sur le conflit opposant les personnes soutenant le port du voile à l'école et les autres. Tous les journaux multiplient témoignages, reportages et enquêtes pour tenter de cerner le problème. Mais le conflit va au-delà du simple problème de la laïcité à l'école. Il englobe les problèmes d'intégration, le droit des femmes, la liberté de culte...
Malgré les appels de tolérance du ministre de l'Éducation nationale, une nouvelle circulaire en septembre 1994 est publiée et demande de distinguer les symboles « discrets » et les symboles « ostentatoires » qui ne sont pas autorisés dans les établissements publics. Suite à cette circulaire, des lycéennes manifestent pour la liberté du port du foulard à l'école. Les exclusions dans les établissements se poursuivent : en novembre de la même année, vingt-quatre élèves sont renvoyées des lycées de Lille et de Mantes-la-Jolie.

2001 : le foulard sur le lieu de travail

Jusqu'alors les médias ne s'étaient intéressés à la question du port du foulard qu'à l'école. En novembre 2001, ils ont l'occasion d'ouvrir le débat. En effet, à Reims, une employée travaillant dans une supérette est menacée d'être renvoyée, son parton exigeant qu'elle soit dévoilée sur son lieu de travail.

Loi du 15 mars 2004 : interdiction des signes religieux ostensibles à l'école

Peu à peu, la situation devient difficilement gérable : dans chaque école, les enseignants ont la responsabilité d'accepter ou non tel ou tel élève portant un signe religieux. En 2003, à Aubervilliers, deux soeurs voilées sont exclues de leur lycée. Pour apporter aux enseignants une réponse claire, Jacques Chirac décide de faire voter une loi qui interdirait tout signe religieux à l'école, au nom de la laïcité. C'est Bernard Stasi qui est alors chargé de mener une commission sur le sujet.
Le 15 mars 2004, la loi « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » est votée. Il est désormais interdit de porter à l'école tout signe religieux ostensible. Il est donc possible comme le préconisait le décret Bayrou de porter une petite croix ou une discrète étoile de David mais pas un foulard ou une kippa.

2009-2010 : les questions du voile intégral et de l'identité nationale réunies

Alors que l'on pensait l'affaire réglée, fin 2005, pendant les émeutes de Clichy-sous-Bois, une grenade à gaz lacrymogène lancée par un CRS touche la mosquée. Le climat est délétère mais permet au candidat Sarkozy de lancer sa campagne autour du thème de l'identité nationale. Jusqu'en 2009, la situation s'est apaisée mais dès juin, l'actualité se concentre sur la question du voile intégral. Éric Besson propose alors de lancer un grand débat national autour de l'identité nationale. Pour la première fois, indique Jérémy Robine (dans la Revue Hérodote, n°136), les questions du voile et de l'identité nationale se rejoignent.
Devant le Congrès, Nicolas Sarkozy s'est exprimé sur le problème de la burqa le 20 juin 2009 : « La burqa ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la République » car elle n'est « pas un problème religieux, (mais) de liberté et de dignité de la femme ». Trois jours plus tard, le député communiste, André Guérin, est missionné pour « établir un état des lieux de la pratique du port du voile intégral en France, en s'attachant à comprendre les origines de ce phénomène, son ampleur et son évolution. » Le député souhaiterait que cette commission débouche sur une loi tandis que Éric Besson s'y oppose au départ car « un équilibre a été trouvé en France et il serait dangereux de le remettre en cause », mais se range finalement derrière l'avis de son parti. François Copé au contraire estime qu'il faut, au plus vite, faire voter une loi d'interdiction du port du voile intégral. Pour faire-valoir sa décision, il multiplie les apparitions télévisées expliquant ses motivations et accepte de débattre avec deux femmes voilées intégralement sur le plateau de Thierry Ardisson, Salut les Terriens, le 9 janvier 2010. Finalement, c'est la ligne Copé qui l'emporte dans la majorité.

Malgré les réserves du Conseil d'Etat, les députés ont donc voté une loi interdisant le voile intégral. Toute la droite a voté pour, une grande majorité des députés PS, Verts et PC se sont abstenus. Si le texte passe tel quel au Sénat en septembre, la femme écopera d'une amende de 150 euros et/ou d'un « stage de citoyenneté ».


*** Sources
- Christope Bellon, « L'affaire des foulards », in La France de la Ve République (1958-2008), sous la direction de Jean Garrigues, Armand Colin, 2008
- Justine Brabant, « Avant la burqa, vingt ans de débats médiatiques sur le voile », in Arretsurimages.net, 30 juillet 2009
- Jérémy Robine, « La polémique sur le voile intégral, une gestion géopolitique », in Herodote n°136

*** Liens

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