Fadela Amara, portrait d'un symbole de la diversité qui a échoué au gouvernement

Enquête · 11 juin 2010 à 23:02

Portrait de Fadela Amara

Nicolas Sarkozy souhaitait un gouvernement d'ouverture et représentatif de la diversité de la société française. A cet égard, l'entrée au gouvernement de Fadela Amara est tout un symbole. Classée plutôt à gauche, Fadela Amara est la fondatrice de la société "Ni putes, ni soumises". Elle a été nommée secrétaire d'Etat en charge de la politique de la ville en juin 2007. Trois ans après, l'échec est total.




Série 2/6 : Portrait de Fadela Amara

Ministres d'ouverture

Une femme engagée

Fadela Amara est née en 1964. Son père, un Kabyle algérien qui travaillait dans le bâtiment, s'est installé en France en 1955. Elle a vécu dans une cité de Clermont-Ferrand fréquentée par des habitants tous issus du Maghreb au point qu'elle avait l'impression de vivre "dans un village arabe" selon ses propres termes. Ses parents sont analphabètes et Fadela Amara est issue d'une famille nombreuse de 10 enfants. Très tôt, elle s'est lancée dans le militantisme en participant à la marche des beurs en 1983, puis en adhérant à SOS Racisme en 1986. En 2003, après la mort de Sohane, une jeune fille brûlée vive dans un quartier, elle a fondé l'association "Ni putes, ni soumises".

Ses hésitations avant d'entrer au gouvernement

Fadela Amara a été contactée une première fois pour faire partie du premier gouvernement Fillon. Elle avait refusé en expliquant qu'elle se sentait plus utile à la tête de son association "Ni putes, ni soumises". Finalement, la deuxième tentative fut la bonne, elle s'est laissée tenter par l'aventure même si la décision fut difficile à prendre pour quelqu'un qui se présente comme une femme de gauche. Sa nomination a suscité de nombreuses critiques à gauche et en banlieue. On l'accuse d'opportunisme. De son côté, elle répond que son combat n'a pas de clivage politique et qu'elle souhaite transformer la vie dans les quartiers.

Son tandem improbable avec Christine Boutin, ses autres ministres de tutelle

Fadela Amara débute sa carrière gouvernementale sous la tutelle de la ministre du logement et de la ville, Christine Boutin. Elles le reconnaissent elles-mêmes, leur duo est improbable. Christine Boutin représente la droite catholique, l'opposante au PACS, celle qui considère l'avortement comme un acte inhumain. Fadela Amara est une féministe qui a défendu, avec son association "Ni putes, ni soumises", le droit des femmes à disposer de leur corps, la lutte contre l'oppression dont sont victimes les femmes, notamment dans les banlieues.
Lors des remaniements successifs, Fadela Amara change de ministre de tutelle : elle travaillera sous Hortefeux, Darcos et aujourd'hui Eric Woerth.

Son plan "Espoir banlieues"

En septembre 2007, l'ancienne présidente de l'association "Ni putes, ni soumises" a fait sensation en présentant son projet en des termes peu habituels pour un membre du gouvernement. Ainsi, elle déclaré qu'elle appliquerait une "tolérance zéro pour la glandouille". Selon elle, pour sortir les jeunes des banlieues de la délinquance, il ne faut pas "qu'ils traînent et s'emmerdent dans les cités en bas des cages d'escalier, avec toutes les conséquences que ça a". La secrétaire d'Etat aurait même déclaré en plein conseil des ministres : "Je vous le dit très cash, maintenant il faut agir. Il est hors de question qu'on continue à se la raconter sur la question des banlieues".
Avec le plan "Espoir Banlieues", elle a promis de créer 45 000 emplois en trois ans et de réduire de 40% le chômage des jeunes en banlieue. Aujourd'hui, il existe plus de 750 zones urbaines sensibles bénéficiant d'un dispositif particulier. Fadela Amara veut mettre un terme à ce saupoudrage inefficace et veut concentrer l'effort financier sur 100 à 200 quartiers.

Un plan banlieue sans budget

Fadela Amara, à l'instar de Martin Hirsh, est un symbole de l'ouverture. Toutefois, contrairement à l'ancien président d'Emmaüs, la secrétaire d'État chargée de la politique de la Ville peine à se faire entendre et à obtenir des arbitrages en sa faveur.
Son plan Espoir Banlieues n'a pas de financement. Dès le départ, le plan est mort-né. Alors que Fadela Amara comptait sur une aide d'un milliard d'euros, elle se fait aussitôt recadrer par sa ministre de tutelle de l'époque, Christine Boutin. Celle-ci lui rappelle qu'elle doit se montrer prudente quand elle annonce publiquement des chiffres. Seul vrai chiffre mis en avant par le locataire de l'Elysée : 500 millions d'euros destinés au désenclavement des quartiers les plus en difficulté, souvent dépourvus de transports en commun. Mais cette somme sera en fait débloquée sur les crédits alloués au... Grenelle de l'environnement.
Il en est de même avec les contrats d'autonomie, censés aidés les jeunes à trouver un emploi. C'est encore un échec puisque sur les 45 000 contrats d'autonomie prévus en trois ans, seuls 5 700 ont été signés; sur 350 délégués des préfets annoncés, seuls 175 ont été nommés; sur 50 appels à projet de busing (transport des enfants de quartiers sensibles dans des écoles plus favorisées), seuls sept ont trouvé preneur...
La faute, encore et toujours, à l'absence de budget. Au final, le plan Espoir Banlieues est toujours au point mort. Fadela Amara multiplie tout de même ses interventions médiatiques, feint de ne pas voir l'échec d'une politique qui n'est pas soutenue par le propre gouvernement auquel elle appartient.
Si la responsabilité de Fadela Amara n'est pas totale dans cet échec, son maintien au gouvernement et ses excès de zèle (elle vient récemment de réutiliser le terme de Karcher pour parler de l'insécurité en banlieue) en font le parfait alibi de la droite en banlieue. Un rôle qu'elle a finit par assumer, à défaut de mener une politique efficace.


Par Anne-Sophie Demonchy

Commentaires