Mitterrand : de l'Etat de grâce au tournant de la rigueur (1981-1986)

Rétrospectives · 7 mar. 2008 à 17:15

Mitterrand, l'Etat de grâce

Pendant les deux premières années de son mandat, François Mitterrand va impulser un changement radical. Les salariés bénéficient d'avancées considérables : les salaires et les prestations sociales sont fortement augmentés, la semaine de 39h et la 5ème semaine de congés payés sont votés. Le président de la République bénéficie d'une cote de popularité très élevée. C'est l'Etat de grâce, jusqu'à ce que le gouvernement se rende compte que cette politique de relance, extrêmement coûteuse, n'a pas les effets escomptés sur la croissance économique. L'année 1983 est marquée par le tournant de la rigueur, politique lourdement sanctionnée par les Français lors des scrutins suivants.


François Mitterrand a eu plusieurs vies : un passé trouble pendant la guerre, une carrière de ministres sous la IVe République, 23 ans d'opposition avant devenir le premier, et pour l'instant l'unique, président de gauche de la Ve République. A cette vie professionnelle si remplie s'ajoutait une double vie personnelle et une personnalité énigmatique. Homme de lettres, souvent distant, le 4ème président de la Ve République fascine encore aujourd'hui, 12 ans après sa mort.

Politique.net publie la biographie de François Mitterrand sous la forme d'un feuilleton en 15 épisodes, du 25 février au 10 mars 2008.

10ème épisode : Les premières années du pouvoir

Mitterrand et le pouvoir

L'Etat de grâce : des réformes emblématiques (1981-1982)

Les deux premières années du septennat de François Mitterrand ont été marquées par « l'Etat de grâce ». Appliquant les mesures les plus populaires de son programme, le président de la République bénéficie d'une bonne cote d'opinion en 1981 et 1982. De nombreuses réformes emblématiques marquent les premiers mois de la présidence Mitterrand : le SMIC fut augmenté de 10% dès le mois de juillet 1981, le minimum vieillesse de 20% et les allocations familiales de 25% le 1er décembre. Au total, cette politique de relance par la consommation a injecté entre 8 et 9 milliards de francs dans l'économie. Par ailleurs, dès le mois de juin 1981, il a été décidé de créer 55 000 emplois dans le secteur public. Toutes ces dépenses nouvelles étaient financées par des taxes et des impôts exceptionnels pris sur les revenus les plus élevés.
De nombreux groupes ont été nationalisés : Thomson, Péchiney ou encore Rhône-Poulenc. L'Etat redevenait un acteur central dans l'économie.
L'ordonnance du 18 janvier 1982 modifie la durée du travail et des congés payés : les salariés obtiennent une cinquième semaine de congés payés et une durée légale du temps de travail ramenée à 39 heures par semaine.

Bureau de Mitterrand

Les désillusions : le déficit français

Quand François Mitterrand entre en fonction, il est confronté à une crise économique qui connaît un taux d'inflation à 14% par an. Pour relancer la croissance, il souhaite doper la consommation populaire : il augmente le Smic, les salaires et les prestations sociales. Le président veut tenir les promesses auxquelles il s'est engagé au cours de la campagne en relançant la machine industrielle au lendemain des chocs pétroliers.
Or, ces propositions coûtent très chères à l'Etat mais elles figurent un véritable changement politique, signe fort de la présence de la gauche, pour la première fois au pouvoir. Les Français attendent depuis longtemps ces mesures audacieuses. Toutefois, à cause de la crise, l'économie n'a pu être relancée. Le déficit s'est encore plus creusé.
En juin 1982, le Premier ministre lui force la main pour obtenir l'accord présidentiel pour les mesures de rigueur consistant en un blocage des prix et des salaires. On estime à 3% la baisse du pouvoir d'achat à cette époque. François Mitterrand, poussé par Jacques Delors et Pierre Mauroy doit changer de stratégie et se plier, contraint et forcé, à leur constat et à leur solution. A l'été 1982, l'équipe du gouvernement est de nouveau remaniée. Pierre Bérégovoy quitte son poste de secrétaire général de l'Elysée pour devenir ministre des Affaires sociales. Jean-Louis Bianco, introduit en politique par Jacques Attali, prend sa place.

Le tournant de la rigueur de 1983

En mars 1983, Pierre Mauroy mène la campagne pour les élections municipales. Mais au lendemain des résultats, les socialistes essuient un cuisant échec : l'opposition reprend plus de trente grandes villes. Jacques Chirac remporte la mairie de Paris. Face aux résultats, François Mitterrand doit prendre des décisions concernant l'économie. Les partenaires européens réclament un redressement de la situation. Il hésite alors à prendre des distances avec le système monétaire européen ou se plier aux exigences de la communauté. Finalement, ses différents conseillers parviennent à le convaincre que si la France quitte l'Europe elle devra faire preuve d'une plus grande rigueur et connaîtra des difficultés plus graves encore. Dès lors, François Mitterrand met en place des mesures économiques drastiques. Le franc est dévalué de 8% par rapport au Mark pour réduire le déficit commercial et ramener l'inflation à 5% d'ici la fin de l'année. Pour mener à bien cette politique, il hésite à changer de Premier ministre. Il convoque alors à un déjeuner Pierre Bérégovoy, Laurent Fabius, Jacques Delors et Jean-Louis Bianco. Après avoir évalué les capacités et les motivations des uns et des autres, François Mitterrand nomme Jacques Delors Premier ministre. Celui-ci accepte à condition de ne pas diriger le ministère des Finances mais celui de la direction du trésor pour contrôler la gestion de la politique monétaire. Mitterrand refuse et décide de garder Pierre Mauroy comme Premier ministre. Sa mission n'est pas facile : il doit assurer le passage de la rigueur à l'austérité et instaurer un changement radical de politique.

Rigueur de 1983

De la démission de Pierre Mauroy en 1984 à la défaite de 1986

Avec la construction de l'Europe et ses exigences économiques, la France doit subir des restructurations industrielles. Dans le Nord comme un peu partout sur le territoire, de nombreuses entreprises ferment. La rigueur impose plus de compétitivité et de rentabilité. En contrepartie, le chômage ne cesse d'augmenter. A ce moment, en 1984, les Français sont moins de 30% à soutenir François Mitterrand et son Premier ministre.
En mars 1984, les mouvements des enseignants ne font qu'attiser la crise : une des grandes promesses du candidat est la création d'un grand service public unifié de l'éducation qui englobe l'école privée. Depuis trois ans, le ministre Alain Savary négocie avec tous les partenaires afin de trouver un compromis mais le débat s'envenime. Par centaine de milliers, les défenseurs du privé descendent dans la rue pour défendre leurs droits. Pour ne pas mettre en péril le septennat, l'Etat recule devant cette grande réforme. Alain Savary, désavoué, démissionne aussitôt. Pierre Mauroy le suit.
C'est Laurent Fabius qui est alors nommé Premier ministre. Son rôle est donc de ramener l'ordre dans le pays et redresser la situation afin d'assurer la victoire de la gauche aux élections législatives de 1986. Malgré ses efforts, ce ne sera pas suffisant. Pour que la défaite soit moindre, François Mitterrand propose d'avoir recours au scrutin proportionnel, idée qui figurait à son programme présidentiel. Les élections législatives auront donc lieu à la proportionnelle départementale à un tour. L'opposition dénonce la manoeuvre politique. L'Assemblée vote la proportionnelle en juin 1985. En désaccord, Michel Rocard démissionne du gouvernement. Lors des législatives de 1986, la défaite de la gauche apparaît inéluctable.

Fabius en 1984

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