François Fillon, un Premier ministre fantôme

Télévision · 4 juil. 2007 à 18:15

François Fillon, un Premier ministre complètement effacé

La pratique du pouvoir de Nicolas Sarkozy ne laisse plus aucune place au Premier ministre. Président omniprésent, Nicolas Sarkozy s'occupe personnellement de tous les dossiers au point que l'on peut se poser la question de l'utilité de celui qui est considéré comme chef de gouvernement dans l'organigramme du pouvoir exécutif. A cette situation politique s'ajoute une dimension personnelle : François Fillon est d'une nature discrète. Dès lors, une question se pose : à quoi sert le Premier ministre ?
Les invités de l'émission de C dans l'air du 3 juillet, intitulée "La Sarko-République", ont dressé le portrait d'un Premier ministre fantôme et évoqué les conséquences politiques de cette situation inédite.

Un discours de politique générale très terne

François Fillon a fait un discours de politique générale très banal, sans aucune surprise. C'était très technique, sans véritable relief. Aucune annonce nouvelle n'a été faite par rapport à ce que Nicolas Sarkozy a déjà répété cent fois. Les discours de politique générale, sauf en cas de cohabitation, sont très souvent ennuyeux, sans intérêt. Hier, le discours de François Fillon n'a pas échappé à la règle. Comme d'habitude, les députés se sont ennuyés, la majorité a applaudi et l'opposition s'est interrogée sur le coût des mesures et l'absence de financement des dépenses nouvelles.
Mais cette fois-ci, Roland Cayrol considère que c'était pire que d'habitude car François Fillon a annoncé des réformes qui sont déjà en route, dont les détails sont déjà connus dans la presse. Il s'est donc retrouvé à expliquer des réformes qui ont déjà été expliquées.
Dominique Reynié, politologue à Sciences Po, considère que le discours était une simple reprise du programme de Nicolas Sarkozy avec le talent et le charisme en moins. Le président de la République avait déjà annoncé toutes ces mesures, notamment le 20 juin dernier en recevant à l'Elysée tous les parlementaires, avec un discours plus mordant, plus efficace.

L'équipe de Sarkozy, véritable numéro 2 du pouvoir

François Fillon est une ombre politique, ce n'est pas le second après le président de la République. C'est l'équipe de Nicolas Sarkozy qui joue le rôle de numéro 2, notamment Claude Guéant, le secrétaire général de l'Elysée. Ce dernier s'est d'ailleurs exprimé la veille du discours de politique générale de François Fillon dans une interview, ce qui ne s'était jamais produit dans l'histoire de la Ve République. S'exprimer avant un rendez-vous si important pour le Premier ministre est un signal particulièrement clair pour montrer que tout est piloté de l'Elysée.
David Martinon, le porte-parole de l'Elysée, avait même lâché au cours d'une conférence de presse que François Fillon n'aurait pas à faire preuve de beaucoup d'imagination pour son discours de politique générale puisqu'il lui suffisait de reprendre le programme de Sarkozy. N'importe quel collaborateur à l'Elysée a aujourd'hui plus de pouvoir que François Fillon à Matignon.
Selon Roland Cayrol, le Premier ministre souffre de cette situation et cela va finir par poser problème à Nicolas Sarkozy. François Fillon accepte d'être numéro 2, mais il proteste en interne contre le poids trop important des conseillers de l'Elysée. Il l'accepte d'autant moins bien qu'il a autant la paternité du projet présidentiel que Nicolas Sarkozy. C'est lui qui a piloté l'élaboration du projet, qui a été l'architecte de toutes les conventions UMP qui ont abouti à ce programme. Sa mise à l'écart est donc mal vécue par lui.

La disparition programmée du Premier ministre

François Fillon a été choisi par Nicolas Sarkozy car il a une personnalité effacée. Ce choix a été fait consciemment et préfigure la disparition programmée du poste de Premier ministre dans un contexte de présidentialisation du régime. Avec le quinquennat, le temps politique est accéléré et le président de la République ne peut plus rester en retrait.
Au lieu de procéder à une réforme institutionnelle de grande ampleur, Nicolas Sarkozy modifie donc les institutions par la pratique plus que par le texte de loi. Contrairement à ces prédécesseurs lorsqu'ils s'exprimaient à l'Assemblée Nationale, François Fillon n'est pas le chef de la majorité parlementaire. C'est Nicolas Sarkozy le vrai patron, qui assume et qui s'engage. D'ailleurs, ce dernier devrait pouvoir s'exprimer directement devant les députés grâce à une réforme institutionnelle prévue pour l'an prochain.

Le risque d'un président de la République trop exposé

L'omniprésence de Nicolas Sarkozy et l'effacement du Premier ministre ont une conséquence directe sur la marche du pouvoir. Sans le fusible du Premier ministre, le président de la République est en première ligne et est très exposé. C'est d'ailleurs ce que souhaite Nicolas Sarkozy. Mais cela comporte des risques. Avec un Premier ministre qui n'a aucun rôle, il n'est plus justifié de le remplacer en cas de difficultés du pouvoir exécutif. Pour Roland Cayrol, Nicolas Sarkozy a conscience de ce risque mais il est convaincu qu'il va réussir, fort de la confiance du peuple.
Ce n'est pas l'avis de Dominique Reynié qui considère que c'est la réforme qui va être la première victime de cette exposition. Le président pourrait être tenté de faire des demi-réformes pour se protéger et éviter d'entraîner la population dans la rue. C'est notamment le cas pour la réforme des universités dont les ambitions ont été revues à la baisse en raison de la contestation des organisations étudiantes. Il a retiré la sélection à l'université et repoussé l'autonomie dans le temps. Si c'est facile de passer une réforme fiscale qui accorde 11 milliards d'allègements d'impôts, c'est beaucoup plus difficile de faire passer une loi sur les retraites ou le service minimum.
Selon Christophe Barbier, il s'agit de la suite logique des réformes des institutions et du quinquennat : c'est la démocratie directe, un face-à-face entre Nicolas Sarkozy et son électorat. On entre dans une ère plus moderne et rapide du dialogue social. C'est désormais Nicolas Sarkozy qui va négocier lui-même avec les partenaires sociaux.

Par conséquent, François Fillon est peut être le dernier Premier ministre de la Ve République. Si Nicolas Sarkozy gouverne de cette manière pendant 5 ans, alors la question du maintien du poste de Premier ministre dans les institutions sera posée en 2012.

*** Liens

Encyclopédie
- Qu'est-ce qu'un discours de politique générale ?
- La cinquième République, un régime en crise ?
- Qu'est-ce que la VIe République ?

Actualités
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