Comment les cabinets de lobbying influencent les députés

Enquête · 27 juin 2013 à 11:58 · Commentaires 0

Députés et Lobbying

Qui aurait pu penser que les farines animales allaient faire leur retour, seize ans après la crise de la vache folle ? En décidant en février 2013 de les réintroduire pour le poisson, l'Union Européenne a surtout remis au devant de la scène une autre espèce : les lobbyistes. Car ce sont bien "les industriels et les agriculteurs, qui ont fait du lobbying à Bruxelles pour que les farines animales soient à nouveau autorisées", constatait Le Monde. Et il n'y a pas qu'à Bruxelles que les lobbyistes exercent. En France, ils se font plutôt discrets. Ils ont pourtant porte ouverte à l'Assemblée nationale et au Sénat : près de 180 lobbyistes ont un badge permettant de circuler librement dans ces enceintes. Objectif ? Influencer les députés pour infléchir la loi au profit d'un industriel, d'un syndicat, d'un laboratoire pharmaceutique, d'une association de chasseurs.

Comment ça marche ? Qui sont ces lobbyistes ? Décryptage.

Des experts et beaucoup de relationnels

Ils se présentent comme des avocats qui plaident la cause de leurs clients. Ce sont en fait des lobbyistes, dont le travail consiste à influencer les députés qui font la loi. Le journal Le Monde en a rencontré quelques-uns à l'automne 2012, période la plus active chez les lobbyistes en raison des débats budgétaires. Leur client ? Des entreprises, des associations. En amont, les clients consultent d'abord un collègue d'experts pour pondre une note technique, voire rédiger clés en main des amendements "prêts à voter". Il suffit ensuite de convaincre plusieurs députés de défendre ces textes. C'est là que les lobbyistes entrent en action.

Comment convaincre les députés ? Argumenter d'abord, mais copiner surtout

Le relationnel reste primordial, insiste Le Monde qui a rencontré une lobbyiste du secteur bancaire : "Il y a le besoin de toucher à la vraie vie des gens, demander des nouvelles des enfants... Cela reste une relation humaine, il faut se détacher du côté technocratique". L'art d'un lobbyiste est d'abord de sélectionner le bon député, et d'insister : "D'abord, on gueule comme des oies, on leur dit que telle mesure est mauvaise pour la France, mauvaise pour l'Europe, mauvaise pour le monde avec toute une batterie de chiffres. Si on voit que ça ne marche pas, on essaie de répondre à leur demande politique d'une autre manière, la moins pénalisante possible pour nous", raconte la lobbyiste au Monde.

Deux types de forfait et budget en crise

Combien coûtent les services d'un cabinet de lobbying ? Tout dépend du dossier. Entre octobre et décembre, le cabinet Séance publique propose par exemple deux forfaits pour les entreprises, afin d'influencer le projet de loi de finances (PLF) : un forfait à 8 000 euros, comprenant "accompagnement parlementaire, cartographie des décideurs-clés, organisation de sept à dix rendez-vous au Parlement", et un autre forfait à 5 000 euros, pour "analyse juridique, rédaction et dépôt d'amendements et suivi des débats", détaille Le Monde.
La plupart des rencontres se déroulent à l'extérieur de l'Assemblée nationale, au restaurant par exemple. C'est le lobbyiste qui règle la note. Et là aussi, il y a un forfait, mais le député n'est pas censé le savoir : "Quand on invite au [restaurant Pavillon] Ledoyen, on ne paie pas à la carte, c'est bien trop cher ! Il y a des forfaits avec location d'un petit salon pour 60 euros par personne, ce sont des prix négociés. Mais vous comprenez qu'on ne peut pas dire à nos invités 'ne vous inquiétez pas, ce n'est pas cher'...", raconte l'un d'entre eux au Monde. Et quand ce n'est pas au restaurant, c'est directement à l'Assemblée que députés et lobbyistes se rencontrent. Avec parfois une forme d'insistance qui frise le harcèlement...

Quand les laboratoires pharmaceutiques insistent

La députée PS, Catherine Lemorton, auteur d'un rapport parlementaire sur la consommation de médicaments, a raconté au Monde, comment les lobbys des labos avaient tenté d'influencer son travail. "Ils sont venus me voir pour m'expliquer qu'il valait mieux que je lise leurs 14 pages d'info pour savoir comment légiférer sur le médicament. Plus j'avançais dans mes auditions, plus je me disais qu'il y avait des choses qui n'allaient pas. Je me demandais pourquoi ils m'appelaient sans arrêt, je les voyais dans les commissions, ils étaient tout le temps là, en fond de salle... Je ne me rendais pas compte qu'en refusant les déjeuners et autres invitations, j'étais déjà en train de lutter contre eux. Ils me disaient qu'ils 'ne comprenaient pas', que 'ça s'était toujours mieux passé que ça avec les autres'". Elle n'a finalement pas cédé. Et face à l'activisme de certains, l'Assemblée nationale a décidé de mieux encadrer l'activité des cabinets de lobbying.

Qui sont les 180 lobbyistes officiels de l'assemblée ?

La liste des 180 lobbyistes ayant accès à l'Assemblée nationale avec un badge est publique. Toutes les banques, les grandes fédérations, les syndicats, des associations professionnelles, des groupes de grande distribution (Carrefour), des industriels (Renault), des médias comme Radio France, sont représentés.
Si un premier règlement datant de 2009 avait été mis en place pour mieux encadrer le travail des "représentants d'intérêts", la gauche a décidé d'aller plus loin. Comme le rappelle Rue89, en octobre 2012, "plusieurs grands noms de l'agro-alimentaire et de la chimie – Monsanto, Bayer, Syngenta ou encore Biomnis – ont perdu leur accréditation à l'Assemblée nationale".
Un rapport, remis fin février 2013, suggère un certain nombre de nouvelles règles pour plus de transparence. Exemple ? Interdire les badges de complaisance accordés à des collaborateurs bénévoles, créer une banque de données précises des lobbys, mieux encadrer l'organisation des colloques ou encore rendre obligatoire la publication des noms des personnes auditionnées avant la rédaction d'un rapport parlementaire. Une partie de ces propositions devrait être intégrée au nouveau règlement de l'Assemblée par les députés. A moins qu'un cabinet de lobbying se charge de les convaincre du contraire...


*** Sources
- C. Rotman, "Face aux lobbys, l'Assemblée veut régler la pression", Libération, 08.03.2013
- L. Girard et P. Ricard, "Le retour des farines animales sème le trouble", Le Monde, 16.02.2013
- François Krug, "Lobbies à l'Assemblée : le grand ménage n'aura pas lieu", Rue89, 13.02.2013
- Hélène Bekmezian, "A l'Assemblée, des lobbyistes encore trop discrets", Le Monde, 13.12.2012
- H. Bekmezian, "Lemorton, une députée contre les lobbies", Le Monde, 13.12.2012


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