L'état de grâce : les deux premières années du septennat de Mitterrand

Enquête · 11 mai 2011 à 07:58

Etat de grâce

De la réduction du temps de travail à la retraite à 60 ans en passant par les nationalisation et l'abolition de la peine de mort, retour sur deux années de transformation profonde de la société française.






Saviez-vous qu'au début de son septennat, François Mitterrand a envisagé de passer à une forme de collectivisme ? Vous ignoriez peut-être aussi que Pierre Mauroy, comme François Fillon aujourd'hui, a eu peu de latitude pour diriger son gouvernement, placé sous le contrôle du secrétaire général de l'Élysée. Ou bien encore que la réduction du temps de travail à 35 heures était un objectif du PS... en juin 1981.


A l'occasion des 30 ans de la victoire de François Mitterrand, Politique.net revient sur les deux septennats du seul président de gauche de la Ve République.


Les années Mitterrand
Episode 2 : L'état de grâce

Les années Mitterrand

Un rêve de révolution

Quand François Mitterrand est élu président de la République et que les socialistes remportent largement les élections législatives, un vent révolutionnaire souffle sur la France. En avril 1984, Mitterrand confie à Jean Daniel : « en 1981, vous vous souvenez de ce qu'on a appelé l'État de grâce. C'était un moment extraordinaire. Je pouvais tout faire. Après tout..., je ne dis pas que j'en ai eu la tentation, mais enfin j'ai quelquefois caressé, comme ça, l'utopie, je me voyais, agitant le pays... Robespierre... Lénine... vers une sorte de collectivisme... J'aurais marqué l'Histoire, j'aurais mis la France en branle pendant quatre ans... j'aurais tout nationalisé, pourquoi pas » (« Les confidences d'un président » in Le Nouvel observateur, semaine du 18 janvier 1996). Pendant quatre ans en effet, le Président multiplie les réformes et applique les promesses électorales les plus populaires.

Au gouvernement : Mauroy sous le contrôle de Bérégovoye

François Mitterrand désigne le député du Nord et maire de Lille, Pierre Mauroy, Premier ministre, estimant que cet élu offre une image rassurante d'homme politique. Pour autant, il lui laisse peu d'autonomie et surveille son travail par le truchement du secrétaire général de l'Elysée, Pierre Bérégovoy et des conseils ministériels servant de doublons aux conseils interministériels.
Comme prévu, les communistes font leur entrée dans le gouvernement, une première depuis 34 ans. Ils sont quatre mais, hormis Charles Fiterman, ministre d'État chargé des transports, ils ont un rôle très secondaire. Le reste du gouvernement est composé de 37 socialistes, deux radicaux de gauche et un gaulliste de gauche, Michel Jobert. Par ce choix, Mitterrand manifeste sa volonté de constituer une gauche unie.

La relance économique : hausse du SMIC, des allocations...

Dès son arrivée au pouvoir, Mitterrand applique ses promesses les plus populaires. Il commence par augmenter de 10% le SMIC au 1er juin 1981. Le salaire minimum s'élève à 2 900 francs (environ 446 euros) et concerne près d'un million de personnes. Le minimum vieillesse est également revu à la hausse, de 20%. Il est désormais à 1 700 francs (261 euros). Quatre millions de familles voient leurs allocations familiales et logement augmenter toutes deux de 25% au 1er décembre 1981. Ces différentes mesures coûtent la somme de 9 milliards de francs (1,9 million d'euros) à l'État pour l'année 1981.
Concernant l'emploi de nombreuses promesses sont faites : il est prévu de créer 55 000 emplois dans le domaine public et social, d'accorder des aides aux entreprises qui embauchent. Le gouvernement espère ainsi que 600 000 jeunes trouveront un emploi. Pour couvrir ces mesures estimées à 6,8 milliards de francs, taxes et impôts doivent être pris sur les salaires les plus élevés, les banques, compagnies pétrolières et frais généraux des sociétés.

La réduction du temps de travail

Au 12 juin 1981, le gouvernement entre en négociation avec le patronat pour réfléchir à la réduction du temps de travail. Mais les discussions deviennent plus âpres en 1982 au moment du vote des « lois Auroux ». Le ministre du Travail, Jean Auroux, envisage des « droits nouveaux des travailleurs ». Ses principaux collaborateurs sont Jacques Dupeyroux et Martine Aubry, la fille de Jacques Delors. En 1982, sont votées les « quatre lois Auroux » :
- « loi relative aux libertés des travailleurs dans l'entreprise » (du 27 juillet) permet aux salariés de se réunir, pendant les heures de travail, pour discuter des conditions de travail.
- « loi relative à la négociation collective et aux règlements des conflits du travail » (du 15 octobre).
- « loi relative au développement des institutions représentatives du personnel » (du 28 octobre).
- « loi relative aux comités d'hygiène, de sécurité er des conditions de travail » (du 18 décembre).
Les négociations sur la durée du temps de travail sont de retour avec l'ordonnance du 18 janvier 1982. Il est alors question de payer cinq semaines de congé par an et de réduire progressivement le travail de 40 heures hebdomadaires à 35 heures. Pourtant syndicats comme patronat se montrent méfiants voire hostiles. Les premiers souhaitent que cette réduction du temps de travail donne lieu à de nouvelles embauches. Pour cela, les heures faites en plus ne devaient pas être payées. Finalement, contre l'avis du Premier ministre, Mitterrand décide de baisser la durée du temps de travail à 39 heures hebdomadaire ce qui n'a aucune incidence sur le partage du temps de travail et donc de la lutte contre le chômage.

La retraite à 60 ans

Le 4 février 1983, l'âge du départ de la retraite est abaissé à 60 ans. Dès les années 1970, la réforme de la retraite est amorcée avec une volonté d'élargir le régime général et les régimes complémentaires de retraite. On relève les pensions les plus basses et on modifie le calcul de la pension. 1981 marque donc l'apogée de cette évolution sociale. Non seulement le départ de la retraite est désormais à 60 ans mais un minimum de pension est instauré.

La nationalisation de 9 groupes industriels et 36 banques

Alors qu'en Europe, la privatisation des entreprises est de rigueur depuis la fin des années 1970, Mitterrand souhaite au contraire nationaliser un maximum d'entreprises pour en avoir le contrôle et créer de nouveaux emplois. Certains comme Michel Rocard ou Robert Badinter ne veulent pas d'une nationalisation totale, préférant que celle-ci se fasse à hauteur de 51%. Toutefois, leur point de vue demeure minoritaire au sein du PS. La nationalisation concerne neuf groupes industriels dont deux à hauteur de 51% seulement (Matra et Dassault) : la Compagnie générale d'électricité, Thomson-Brandt, Pechiney-Ugine-Kuhlmann, Rhône-Poulenc, Saint-Gobain, Usinor et Sacilor. Trente-six banques et deux compagnies financières sont également nationalisées. Ces nationalisations permettent à l'État de contrôler ces groupes et sociétés. Pour mieux y parvenir encore, il change les dirigeants qu'il nomme lui-même. Ces licenciements ont tout de même un coût pour les contribuables : 43 milliards de francs (environ 6,6 milliards d'euros).

L'abolition de la peine de mort

Alors que 60% des Français sont opposés à l'abolition de la peine de mort, le ministre de la Justice, Robert Badinter, fait voter sans difficulté au Parlement la loi du 18 janvier 1981.



Cette loi est un véritable tournant dans l'histoire de France. En effet, depuis le début du 20ème siècle, certains députés ont eu à coeur d'abolir la peine de mort. 32 propositions de loi ont été déposées en vain, même si les exécutions ont cessé d'être publiques depuis le 29 juin 1939. C'est à travers une discussion lancée par le député RPR, Pierre Bas, que les esprits ont commencé à changer à propos de l'intérêt d'une telle peine. La dernière exécution a lieu le 10 septembre 1977 à Marseille faisant de la France le dernier des douze pays de la Communauté européenne à appliquer la peine de mort. François Mitterrand en avait fait une priorité lors de sa campagne présidentielle. Robert Badinter parvient à convaincre Sénat et Assemblée nationale de voter sa loi abolissant la peine de mort. La Chambre haute l'approuve à 160 voix contre 126 et la Chambre basse à 363 voix contre 117. Le 28 avril 1983, le gouvernement signe le protocole additionnel n°6 à la Convention européenne des droits de l'homme qui interdit le rétablissement de la peine capitale.
Même si le Parlement a voté cette loi, la majorité des Français à cette époque ne l'approuve pas. Dès lors et jusqu'en 1993, débats et projets de loi se sont multipliés remettant en cause l'abolition de la peine de mort. Si aujourd'hui, les esprits ont quelque peu évolué, le sujet demeure d'actualité tout en se déplaçant vers une peine de substitution : la perpétuité réelle.

En deux ans à peine, François Mitterrand parvient à mettre en oeuvre de nouvelles réformes qui bouleversent complètement la société française (réduction du temps de travail, abaissement de l'âge à la retraite, décentralisation, nationalisations...). Mais après l'euphorie générale, la situation va vite changer, et cet état de grâce laisse la place à la disgrâce.


Par Anne-Sophie Demonchy



*** Sources
- Jean-Jacques Becker, Histoire politique de la France contemporaine - Crises et alternances, 1974-2000, éditions du Seuil, 2002
- Jean-Marie Colombani et Hugues Portelli, Le Double Septennat de François Mitterrand, Grasset, 1995 (en particulier « Nationalisations/privatisations » et « Retraites »)
- Dominique Vernier, « Peine de mort » in Dictionnaire historique de la vie politique française au XXème siècle, sous la direction de Jean-François Sirinelli, PUF, 1995

*** Liens

Les années Mitterrand
Episode 1 : 10 mai 1981, le jour de la victoire de Mitterrand

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