Le parcours du trader de la Société Générale, ou comment perdre 5 milliards d’euros

Eco + Net · 3 fév. 2008 à 23:51

Trader de la Société Générale

Dernier volet de notre cours d'économie simplifié. Maintenant que vous savez ce qu'est un trader, l'environnement dans lequel il évolue, le Front office, le principe des marchés à terme et la fonction du trader pour maximiser ses gains en prenant des positions, tout en minimisant les risques en se couvrant, il ne vous reste plus qu'à appliquer ce que vous avez appris avec l'affaire de la Société Générale. Dans cette histoire, la banque a perdu près de 5 milliards d'euros.


Parce que politique et économie sont indissociables, Politique.net vous propose un cours simplifié d'économie sur le métier d'un trader. C'est le week-end de l'économie, ou comment devenir un "trader" en 5 leçons.

Leçon 5 : Comment perdre 5 milliards d'euros ?

Logo, affaire société générale

Son arrivée à la Société générale en 2005

Jérôme Kerviel projette de devenir le meilleur trader qui soit. A l'été 2005, son rêve se concrétise grâce à son embauche à la Société générale. Dès le départ, il veut démontrer qu'il est le meilleur trader. L'une de ses premières transactions se solde par un succès : il joue à la Bourse londonienne. Il parie sur l'action en baisse d'une assurance allemande : Allianz. Cette opération lui vaut de gagner 500 000 euros pour le compte de la Société générale. Pourtant, loin d'être félicité par sa hiérarchie, il est pénalisé. En effet, la banque n'admet pas qu'un trader ne respecte pas les règles de sécurité qui lui est imposé. Quand on parie sur une valeur, à la hausse comme à la baisse, on doit se couvrir. Pour s'assurer un échec moindre, en cas de perte, le trader doit équilibrer sa mise en proposant une offre contraire. Le gain est moins intéressant mais cela évite la banqueroute. Jérôme Kerviel ne semble pas avoir jugé bon de se montrer prudent. Il a donc tout misé sur Allianz et a gagné une très forte somme. Pour autant, sa hiérarchie n'est pas contente et le pénalise : tandis qu'elle empoche les 500 000 euros de bénéfice, elle prive son trader de sa prime estimant que celui-ci leur a fait prendre trop de risques. Malgré les remarques et la pénalité, Jérôme Kerviel a continué à spéculer et à prendre des risques toujours plus importants.

2006-2007 : la machine s'emballe et les gains du trader s'élevent à 1,4 milliard d'euros

Tout au long de l'année 2006, Jérôme Kerviel poursuit son projet de devenir le meilleur trader sans se soucier des consignes. Pourtant, même s'il fait d'énormes bénéfices, sa hiérarchie ne semble pas s'inquiéter. En toute quiétude, il peut boursicoter sans craindre d'être de nouveau repris à l'ordre. Il est donc, pour pouvoir continuer à parier comme il le souhaite, obligé de cacher les véritables chiffres de ses bénéfices. A la fin de l'année 2007, il est parvenu à accumuler 1,4 milliard d'euros, sans attirer encore les soupçons de ses supérieurs. Très fier, il affirme au cours de son procès-verbal qu'il est le seul à avoir réalisé un tel gain qui représente la moitié du total des résultats des actions de la Société générale. Ce serait donc grâce à lui si sa banque est aussi puissante dans le domaine de la Bourse. Pourtant, s'il veut que celle-ci profite de ces bénéfices, il doit donner ses chiffres. Le problème c'est qu'il ne peut annoncer qu'il a réussi en quelques mois à gagner 1,4 milliard d'euros, prouvant encore une fois qu'il a eu recours à des méthodes interdites. Pour rééquilibrer les comptes, il s'est mis à truquer les chiffres en faisant croire qu'il avait fait plusieurs opérations fictives perdantes. Pour obtenir sa prime, il déclare à son supérieur avoir fait un bénéfice honorable de 55 millions d'euros. Cette fois, il a droit à sa prime annuelle de 300 000 euros.

La Société générale découvre tout et revend les actions

Pour se prémunir contre sa hiérarchie et feindre qu'il fait des transactions de façon régulière, le trader fournit de faux documents attestant que ses opérations sont bien couvertes. A chaque fois, la Société générale semble ne pas se méfier. Pourtant, le 18 janvier 2008, alors que Jérôme Kerviel montre à son supérieur un faux mail de la Deutsche Bank, la manigance ne passe pas. Suspicieux, la Société générale appelle la banque allemande pour s'assurer de l'envoi du mail. Celle-ci nie les faits et le trader est convoqué par sa hiérarchie pour s'expliquer. Jérôme Kerviel, en mauvaise posture, finit par expliquer le problème. Parce qu'elle n'a pas d'autre possibilité, et conformément aux normes comptables internationales, la Société générale revend toutes les actions litigieuses au pire moment : celui du crack boursier lié à la crise des subrimes aux Etats-Unis. La banque perd alors 5 milliards d'euros.

Par conséquent, dans cette affaire, il n'y a pas eu d'escroquerie. Il n'y a pas eu d'enrichissement personnel. Les sommes gagnées par le trader allaient à la banque. Mais il y a eu fraude : des opérations comptables fictives ont été inscrites dans les comptes de la Société Générale et l'objectif du trader était d'obtenir des primes plus élevées grâce à ses bons états de service. Mais lorsque la Société Générale a du régulariser toutes les opérations litigieuses, elle a vendu massivement tous les titres acquis par ce trader, en enregistrant une perte sèche de près de 5 milliards d'euros.



*** Sources
- Nicolas Cori, "Société générale : une énigme, trois questions", Libération, 28 janvier 2008
- Raphaëlle Bacqué, "Les traders pur-sang des marchés", Le Monde, 3 février 2008
- Thami Kabbaj, Psychologie des grands traders, Eyrolles, 2007
- Mikael Petitjean, Le Guide du trader : Méthodes et Techniques de spéculation boursière, Dunod, 2004

*** Liens

L'affaire de la Société Générale
- Trader, marchés à terme, front office : le vocabulaire de l'élite, la peur de l'opinion
- L'affaire de la Société Générale expliquée par les journaux télévisés

Comment devenir trader en 5 leçons
1. Qu'est-ce qu'un trader ?
2. Qu'est-ce qu'un Front office, un middle office et un back office ?
3. Qu'est-ce qu'un marché à terme ?
4. Que signifie "prendre des positions" et "se couvrir" ?
5. Comment faire perdre à sa banque 5 milliards d'euros ?

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