Edgar Morin, l'auteur de la politique de civilisation

Enquête · 21 jan. 2008 à 22:28

Edgar Morin

Lundi 7 janvier, le sociologue Edgar Morin s'est présenté à l'Elysée rencontrer Nicolas Sarkozy et son nègre, Henri Guaino qui avaient eu la bonne idée, le 31 décembre dernier, de faire référence à l'un de ses livres, Pour une politique de civilisation, qu'il a co-écrit en 1997 avec Sami Naïr. N'étant pas certain que les deux hommes aient bien compris le sens de sa formule, il a préféré s'en assurer en leur rendant une petite visite. Au cours de l'entretien, il s'aperçoit effectivement que la formule n'est guère saisie, ce qui lui donne l'occasion de l'expliquer. Cette polémique vite essoufflée offre l'occasion aux éditions du Seuil de republier le livre. Edgar Morin qui ne partage pas les idées du président de la République s'estime néanmoins content de cette issue. Alors qu'en France, socialistes et universitaires semblent dénigrer son travail, à l'étranger ses théories et ses pratiques sont étudiées, certains politiques socialistes le consultent. Le clin d'oeil du président Sarkozy permet ainsi de faire le point sur un intellectuel trop peu connu dans l'hexagone.

Ses premiers engagements politiques

Edgar Morin est né le 8 juillet 1921. Ses parents, Vidal et Luna Nahoum, sont juifs séfarades originaires de Salonique émigrés à Paris. Son père est commerçant tandis que sa mère demeure au foyer. En 1931, celle-ci décède d'une crise cardiaque. On cache la vérité à l'enfant de 10 ans. Mais, très vite, celui-ci comprend ce qui s'est passé. Il garde une rancune certaine à l'égard de son père qui l'a tenu écarté de sa mère.
Sa formation d'intellectuelle, il ne la doit pas aux grandes écoles mais à son engagement dans la Résistance. De son expérience dans l'armée d'occupation allemande, il écrira L'An zéro de l'Allemagne, publié en 1946. Il fait partie du même réseau que François Mitterrand, Marguerite Duras, Robert Antelme et Dionys Mascolo. Il choisit un premier pseudonyme, Edmond, un deuxième, Manin, en hommage au personnage de L'Espoir (roman de Malraux) ; enfin un troisième et dernier : Morin.
D'autre part, il s'engage au Parti communiste mais pour une courte durée ; dès 1949, il est en désaccord avec les positions du parti qui l'exclut deux ans plus tard.

Un sociologue novateur

Il devient sociologue au Centre national de la recherche scientifique. Il étudie des sujets encore peu à la mode dans les années 1950-1960 comme la mort (L'Homme et la mort), le cinéma (Le Cinéma ou l'Homme imaginaire, Les Stars), les jeunes, la culture de masse (L'esprit du temps), les fantasmes de la modernité (La Rumeur d'Orléans).
Il poursuit ses recherches en Californie et découvre comment lier les principes de raisonnement des sciences humaines à ceux des sciences biologiques. Il publie plusieurs travaux issus de ces réflexions comme L'Unité de l'homme. Ces méthodes novatrices ont été accueillies avec un certain intérêt dans le domaine des sciences exactes, plus difficilement dans les sciences humaines.
De même, en 1959, il invente l'autobiographie liée aux sciences humaines, un peu à la manière de Rousseau. Il la met en application dans un de ses livres majeurs : Autocritique. Il s'inclut lui-même dans le champ d'observation, l'objectif étant de parler de soi pour mieux parler de l'humaine condition.

Un intellectuel tourné vers la politique

Après s'être engagé au PC, il veut se démarquer d'une certaine gauche qui soutient, en pleine Guerre froide, le stalinisme. Loin de s'écarter pourtant de ses idéaux de gauche, il veut montrer ses dysfonctionnements. En 1956, avec d'autres intellectuels qui ont, comme lui, quitté le Parti communiste, il fonde une revue, Arguments. Participent ainsi à la revue Roland Barthes, Jean Duvignaud, Colette Audry, Dionys Mascolo... Cette revue révisionniste participe aux débats de l'époque comme la crise du communisme, la décolonisation, l'écologie, la libération sexuelle... Finalement, il décide de mettre fin à la revue dès 1962 estimant que les rédacteurs n'ont pas les mêmes convictions.
Il prend position en 1968 en soutenant la révolte, persuadé que celle-ci marque une mutation du politique. Il publie un essai : Mai 1968, La brèche.



Edgar Morin est donc un homme de gauche mais qui a toujours su garder ses distances. Il se rapproche néanmoins des socialistes en 1981, quand François Mitterrand arrive au pouvoir, c'est-à-dire au moment où la gauche s'éloigne de l'idéal communiste. Morin partage l'enthousiasme socialiste pour l'Europe (Penser l'Europe, 1987). Aujourd'hui, certains le taquinent sur sa rencontre avec le président de la République, mais l'auteur de Pour une politique de civilisation préfère s'en amuser et savourer l'idée que les lecteurs découvriront enfin le sens véritable de cette formule trop vite employée.

*** Liens

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