L'argent du Front national : enquête sur les circuits de financement

L'argent du pouvoir · 23 mai 2014 à 19:01 · Commentaires 0

L'argent du Front national

Deux micro-partis, des prêts aux candidats, des kits de propagande et une myriade de factures éditées par différents prestataires : dans un dossier de neuf pages, Le Figaro magazine décrit avec précision les circuits de financement du parti de Marine Le Pen. Un dossier intitulé "l'argent caché du Front national" et contre lequel le FN, dans un communiqué, indique vouloir mener une "riposte juridique".

Pourquoi ? Tout simplement parce que le dossier contiendrait des "approximations" et des "contre-vérités flagrantes". Des erreurs que le FN s'est empressé de corriger sur son site en répondant point par point aux accusations du Figaro magazine. Plus grave aux yeux du FN, le titre du dossier : "l'argent caché". "Il n'y a aucun « argent secret » au Front national", écrit le FN dans un communiqué. L'affirmer est une tromperie. Pas plus d'ailleurs, n'y a-t-il, dans cet article de « révélations sur les circuits de financement » : les circuits de financement du Front national sont clairs, connus de tous et parfaitement légaux".

L'argent du Front national ? Assurément, c'est un sujet plutôt vendeur. La preuve : le dossier du Figaro n'est disponible sur internet qu'aux seuls abonnés. Alors comme l'argent du Front natinal n'est pas caché et que les circuits de financement sont "connus de tous", vous n'apprendrez sans doute rien avec ce qui suit. Dans le doute...

Jeanne, un micro-parti qui fait l'objet d'une enquête judiciaire

C'est le site Mediapart qui a enquêté en premier sur les activités de Jeanne, un micro-parti créé en 2010 pour soutenir Marine Le Pen. Un mois après la publication de cet article, le parquet de Paris ouvrait une enquête préliminaire sur ce micro-parti qui affichait 9,5 millions d'euros de recettes en 2012. Et à l'issue de cette enquête préliminaire, une information judiciaire a été ouverte contre X pour "escroquerie en bande organisée", "faux et usage de faux". "Tout cela se terminera comme à chaque fois par un non lieu ou une relaxe dans quelques mois, mais la calomnie aura remplie son rôle", a aussitôt réagi Marine Le Pen sur twitter.

A l'origine de cette enquête, il y a la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) qui a transmis ses observations au parquet. Certes, la CNCCFP a validé les comptes de campagne de Marine Le Pen pour la présidentielle 2012. Avant cette validation, la CNCCFP a tout de même invalidé l'équivalent de 700 000 euros de factures pour des prestations considérées comme sans rapport avec la campagne électorale à proprement parler (essentiellement de réunions internes au FN). Mais ce type d'invalidation est classique. Ce n'est donc pas pour cette raison que la commission a saisi le parquet. En réalité, en consultant les comptes, la CNCCFP a découvert que les candidats FN aux cantonales 2011 et législatives 2012 avaient systématiquement contracté des prêts financiers auprès du microparti Jeanne.

Jeanne, le micro-parti qui fait des prêts à 7% d'intérêts

Le micro-parti Jeanne a été fondé fin 2010. Il s'agit d'un parti sans militant et sans meeting. Logique : il pour unique but de financer les campagnes électorales du Front national. Ce n'est pas nouveau au FN : dès 1988, Jean-Marie Le Pen avait fondé son propre microparti, baptisé Cotelec, pour financer ses campagnes. Une manière de contourner les réticences des banques à consentir des prêts pour les candidats.

Dès 2011, Jeanne a prêté 1,4 million d'euros à 500 candidats FN pour les élections cantonales. D'où provient cet argent ? Mystère. Interrogé par Le Figaro magazine, Jean-François Jalkh, vice-président du FN, assure que cet argent "vient de particuliers prêteurs dont nous ne pouvons pas, légalement, donner les noms". Un argument repris dans le communiqué du FN contre l'article du Figaro : "Les partis ou groupements proches du Front national ne se sentent pas obligés de donner l'identité de leurs contributeurs". En 2011, il s'agit de prêts à 6,5% d'intérêts.

En 2012, tout s'accélère : Jeanne "a avancé 8,6 millions d'euros aux candidats [législatives] dont 450 000 euros à Marine Le Pen pour la présidentielle, moyennant un taux d'intérêt très élevé de 7%", précise Le Figaro. A la clé rien que pour le prêt pour la présidentielle ? 19 000 euros d'intérêts pour Jeanne, selon les calculs de Mediapart. Mais à quoi servent toutes ces sommes ? Essentiellement à acheter des kits de campagne... facturés par Jeanne. En clair, le micro-parti prête de l'argent aux candidats, qui eux-mêmes payent des kits de campagne à Jeanne. La boucle est bouclée.

Riwal, la boite de com' qui a facturé 1,69 million d'euros pour la campagne de Le Pen

D'après les factures obtenues par Le Figaro, Jeanne propose par exemple d'éditer 3000 exemplaires d'un journal de campagne pour 1400 euros, un bulletin de vote personnalité pour 600 euros ou encore l'édition de 1000 tracts sur l'insécurité pour 250 euros. Jeanne ne fabrique pas ses kits, elle les a commandées à des fournisseurs pour la modique somme de 8,4 millions d'euros en 2012. Qui les fabrique ? Le principal prestataire est une agence de communication baptisée Riwal. Et parmi les actionnaires de Riwal, on retrouve les trésoriers successifs de Jeanne. Autrement dit, comme le précise Le Figaro magazine, "ces hommes de confiance de Marine Le Pen sont à la fois les financiers et les bénéficiaires des candidats FN". Commentaire du journal : le "système est bien verrouillé".

Riwal ne se contente pas d'éditer des kits. Pendant la campagne présidentielle, c'était le principal prestataire des frais de dépenses de communication pour la présidentielle de Marine Le Pen. En 2012, les factures de Riwal s'élèvent à 1,69 million d'euros. Avec des prestations diverses et variées : "des frais de mailing (166 997 euros), la fabrication du programme de la candidate à 6 millions d'exemplaires (514 280 euros), des affiches de meetings et tracts de campagne (449 393 euros), et même des frais de location de mobilier au QG de campagne (30 897 euros) et d'aménagements des locaux (32 500 euros). Riwal a aussi fait payer des frais de retransmission des discours de Marine Le Pen en direct sur internet (69 605 euros). Sans compter des bilans et baromètres d'e-réputation, relativement coûteux (127 847 euros). Ainsi que l'animation internet de la campagne (280 986 euros) via l'hébergement des sites officiels, des relances par SMS et par mail, ou la formation de la candidate au dialogue avec les blogueurs".

Une veille internet à 10 000 euros par mois et un programme chiffré trois fois

L'article du Figaro énumère d'autres dépenses de campagne et souligne que les factures comportent "des intitulés abscons, des prestations onéreuses, des sociétés écrans ou des fournisseurs à l'existence juridique éphémère". Exemple ? Le comité Marine Le Pen 2012 a signé un contrat avec une société unipersonnelle (une seule personne donc) pour des prestations de "veille internet, y compris la presse et les sites des adversaires politiques de la candidate", de "suivi quotidien des médias", de rédactions d'articles et de participation "aux réunions quotidiennes avec la candidate". Au total ? La facture s'élève à 75 999 euros pour 500 heures travaillées. Soit "une moyenne de 10 000 euros par mois de septembre 2011 au 20 avril 2012". Interrogé par Le Figaro, le prestataire unique se défend d'avoir été surpayé : "Je travaillais de 6 heures du matin à minuit et le tarif est normal".

Autre "bizarrerie", relevée par le Fig Mag : le chiffrage du programme du FN. Alors qu'un groupe d'experts a travaillé bénévolement sur le sujet, le magazine a retrouvé des factures indiquant que le FN avait confié ce travail à deux autres acteurs : une société baptisée Cap Stratégique (facture : 13 900 euros) et un expert, qui occupait au même moment le poste de commissaire aux comptes de Jeanne (facture : 50 000 euros). A chaque fois, Le Figaro magazine affirme que ces dépenses ont bénéficié à des prestataires proches de Marine Le Pen.

Le FN conteste le dossier du Figaro magazine

Dans un communiqué, le Front national conteste toutes les accusations du Figaro magazine et estime que cette publication est en service commandé au profit de l'UMP (empêtrée dans l'affaire Copé-Bygmation).

Que dit le communiqué du FN ? D'abord que le microparti Jeanne est soumis au contrôle annuel de la CNCCFP : les dons effectués à ce micro-parti sont parfaitement légaux et le parti n'a pas l'obligation de donner l'identité de ces donateurs.

En outre, le communiqué précise que le principe qui consiste à faire des prêts à des candidats est lui aussi parfaitement légal. D'ailleurs, en cas de prêt, un parti à l'obligation de le faire contre des intérêts. Et ces prêts "ne constituent en aucun cas un exercice illégal de l'activité bancaire".

Enfin, à propos de la proximité entre le FN et les prestataires-bénéficiaires des dépenses de campagne, le communiqué assure que "les prestataires du Front national, de ses structures ou de ses candidats ne sont pas choisis seulement parce qu'ils sont parfois sympathisants, mais surtout pour leurs compétences professionnelles et leur capacité à respecter un strict cahier des charges qui leur est imposé".

Le Figaro magazine a-t-il publié une enquête à charge sur le FN et sur Jeanne ? Les soupçons qui pèsent sur ce micro-parti sont-ils infondés ? L'information judiciaire, qui est en cours, apportera sûrement les réponses à ces questions.



*** Sources
- M. Mathieu et M. Turchi, "Le micro-parti de Marine Le Pen: des euros par millions", Mediapart, 22.10.2013
- Mathilde Mathieu, "La justice enquête sur le micro-parti de Marine Le Pen", Mediapart, 20.11.2013
- A. Mestre et C. Monnot, "Le microparti de Marine Le Pen visé par la justice", Le Monde, 15.04.2014
- Vincent Nouzille, "L'argent secret du Front national", Le Figaro magazine, 02.05.2014
- "Les approximations du Figaro magazine", Communiqué du FN, 03.05.2014
- "Nos réponses à la propagande du Figaro Magazine", Communiqué du FN, 03.05.2014

L'argent secret du Front national

Commentaires