Education nationale : les manipulations statistiques de Luc Chatel

Revue de presse · 9 mai 2011 à 08:16

Chatel dans le coût

Comment faire dire aux statistiques que tout va bien lorsque tout va mal ? Après quatre années de suppressions de postes, de réformes à caractère purement comptable et de dégradation du système éducatif (remplacement, nombre d'élèves par classe, options), le ministre de l'Education nationale Luc Chatel multiplie les coups de bluff en alignant des statistiques censées vanter l'efficacité de cette politique. Aujourd'hui, avec moins de profs, le système éducatif serait plus efficace, les élèves en difficulté seraient mieux encadrés, les remplacements mieux assurés...


Chatel est dans le coût. Mais tous ces chiffres censés montrés que tout va bien ont été démontés un par un par Libération dans son édition datée lundi 9 mai 2011. Une démonstration saisissante.

Pour Chatel, plus il y a de moyens, moins le système est efficace

C'est caricatural et pourtant c'est ce que cherche à démontrer Luc Chatel à chacune de ses interventions dans les médias : "plus on supprime des postes d'enseignants, mieux le système se porte, avec des classes moins chargées, un système de remplacement plus efficace, une aide plus ciblée aux élèves en difficultés... A l'inverse, lorsque l'on crée des postes comme la gauche l'a fait, les résultats des élèves s'effondrent et c'est un beau gâchis". Voilà comment Libération a résumé la position de Luc Chatel pour qui il faut supprimer plus (de profs) pour gagner plus (en efficacité). Sauf que Chatel aime bien manipuler les statistiques. Illustration avec 4 cas concrets analysés par Libération.

Le ministre de sait pas compter

1ère manipulation : "Depuis 1980, le budget moyen par élève a augmenté de 80%" selon Chatel.

C'est la principale statistique avancée par Luc Chatel pour démontrer que les moyens ne font pas tout. "Depuis 1980, le budget moyen par élève a augmenté de 80%" aime à répéter le ministre (ce fut le cas par exemple lors du Grand Rendez-vous d'Europe 1 le 17 avril 2011). Pour obtenir ce chiffre choc, c'est assez simple : il suffit d'additionner tous les salaires de l'Education nationale (personnels + administratifs) et les frais divers (frais de fonctionnement, manuel scolaire, etc.), puis de diviser ce chiffre par le nombre d'élèves. Résultats : la dépense moyenne par élève est passée de 2 920 euros en 1980 à 5 620 euros en 2008, en euros constants. Conclusion du ministre : ce n'est pas une question de moyens puisqu'on en met toujours plus et que les résultats ne suivent. "Depuis 1995, le nombre d'élèves accédant au bac n'augmente plus".

En réalité, ce chiffre s'explique avant tout par la revalorisation des salaires des enseignants sous le gouvernement Jospin en 1989. Les instituteurs, devenus professeurs des écoles, ont vu leur traitement aligné sur celui des professeurs du secondaire. "Cela a représenté une hausse salariale de 20 à 25% pour 400 000 enseignants, ce qui a un impact financier important", explique Guy Barbier, secrétaire national du syndicat SE-Unsa à Libération. Autre explication : le temps de service des professeurs de lycées pros a été réduit - de vingt-quatre heures de cours par semaine à dix-huit, comme leurs collègues du lycée général. Là encore, cela explique la hausse. Cela n'a donc rien avoir avec des moyens supplémentaires mis dans des classes.
En fin de compte, la démonstration de Chatel est destinée à masquer une autre réalité selon Libération : "la France est pingre pour l'investissement dans le primaire et qu'elle se trouve nettement en dessous de la moyenne de l'OCDE. Avec cinq enseignants pour 100 élèves, elle a même un des taux d'encadrement les plus faibles dans le primaire".

2ème manipulation : "Le Parlement a voté cette année le budget le plus important qui n'ait jamais été voté" selon Chatel

Non seulement donner plus de moyens n'est pas efficace, mais le gouvernement en donnerait quand même plus ! Luc Chatel tente régulièrement de faire croire qu'il n'y aurait pas de recherches d'économies dans le budget. "Le Parlement a voté cette année le budget le plus important qui n'ait jamais été voté : 65 milliards d'euros" a-t-il notamment expliqué sur Europe 1 le 17 avril dernier.

Mais que veut dire ce chiffre ? "Avec la hausse du coût de la vie, il est normal que le budget soit légèrement en hausse" note d'abord Libération. Surtout, le ministre cherche à masquer un autre chiffre : "Dans son dernier rapport, «Regards sur l'Education», l'OCDE épingle la France pour avoir diminué sa part de dépense publique consacrée à l'éducation. De 6,5% du PIB en 1997, elle est passée à 6% en 2007, une baisse supérieure à la moyenne des pays de l'OCDE". On assiste donc bien à une baisse des dépenses.

3ème manipulation : "18 000 professeurs dans le secteur primaire ne sont pas directement en relation d'enseignement avec les enfants"

Pour justifier la politique de suppressions de postes, mieux vaut démontrer qu'il y a trop de profs. C'est ce qu'a fait le ministre de la fonction publique, Georges Tron, le 27 avril sur Lemonde.fr en déclarant que "18 000 professeurs dans le secteur primaire ne sont pas directement en relation d'enseignement avec les enfants". Autrement-dit, il y aurait des milliers de professeurs payés à rien faire.

D'où sort ce chiffre ? C'est la réactualisation d'une statistique issue d'un rapport de la Cour des comptes de 2005 qui avait fait scandale à l'époque et qui était censé démontrer que 32 000 profs n'étaient pas devant élèves. Sauf que ce rapport avait été enterré par le directeur des personnels enseignants du ministère car il comprenait de nombreux biais. Souci majeur d'après Libération : le rapport additionnait des heures de décharge syndicale et les congés maladies pour dire qu'il y avait des enseignants en surnombre et faisait l'impasse sur des dispositifs d'accompagnement. Par exemple, les conseillers pédagogiques qui accompagnent les débutants ou les Rased, ces profs qui aident les élèves en difficultés n'étaient pas pris en compte (et venaient grossir le chiffre virtuel du nombre de profs sans élèves) alors qu'ils jouent bien évidemment un rôle essentiel.

4ème manipulation : "En septembre 2011, il y aura 35 000 professeurs de plus qu'au début des années 1990" selon Chatel

Le meilleur moyen de démontrer qu'il y a trop de profs, c'est encore de comparer des chiffres à 20 ans d'intervalle. Ainsi, Chatel a communiqué sur Europe 1 une statistique censée marquer les esprits : "En septembre 2011, il y aura 35 000 professeurs de plus qu'au début des années 1990, alors que l'on compte 500 000 élèves de moins". Le chiffre est exact, les syndicats ne le contestent pas.

Cependant, la comparaison est complètement anachronique selon Libération : "En vingt ans, la France a changé, et l'école aussi. La scolarité moyenne des élèves s'est allongée (...) Cela a un coût. Davantage d'élèves ont poursuivi au lycée, dans la filière générale ou professionnelle. Or celui-ci coûte cher en France. Avec une moyenne de trente heures de cours par semaine - un record en Europe -, il est un grand consommateur d'enseignants, notamment en raison des nombreuses options. Il y a aussi eu un développement des sections de techniciens supérieurs (STS) et des classes prépas, qui comptent de nombreuses heures de cours, la création de décharges pour les directeurs d'écoles ayant plus de quatre classes..."

Mais Luc Chatel ne s'embarrasse pas de tous ces détails...



Sources : Véronique Soulé, "Education : la manip des chiffres", Libération, 9 mai 2011




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