Qu'est-ce que la régulation des marchés financiers ?

Eco + Net · 25 oct. 2008 à 19:05

Réguler les marchés

Malgré les plans de sauvetage des banques, les marchés financiers ont connu un nouveau vendredi noir. Les mauvais indicateurs économiques et les perspectives de récession mondiale expliquent l'extrême volatilité des bourses. Les principaux investisseurs de long terme ont quitté les marchés, il ne reste plus que des fonds souverains ou spéculateurs qui changent leurs positions aussi vite qu'ils les ont prises.
Depuis le début de la crise, les responsables politiques ne cessent de répéter qu'il faut "réguler les marchés financiers", sans jamais expliquer concrètement ce que cela signifie. Réguler les marchés signifie fixer des règles. D'accord. Mais quelles règles ? De quoi parle-t-on ? Pour l'expliquer, nous allons partir d'un cas concret : comment des emprunts immobiliers aux Etats-Unis entraînent la panique des marchés financiers.


Attention : Les explications qui suivent sont volontairement simplifiées, elles privilégient le raisonnement à la subtilité d'une argumentation prenant en compte tous les mécanismes complexes du système bancaire et financier.

Réguler les marchés

Etape 1 : Un courtier propose un prêt à un particulier

La crise financière est partie des Etats-Unis. Depuis plusieurs années, la croissance économique des Etats-Unis s'appuie sur l'endettement. C'est parce que les Américains s'endettent, empruntent, qu'ils consomment. C'était surtout le cas dans le domaine immobilier, secteur d'où est partie la crise. Or, dans ce domaine, aux Etats-Unis, il n'y a pas de règles, chacun fait ce qu'il veut. Tout commence avec le courtier.
Un courtier se rend chez un particulier qui veut acheter une maison. Il lui propose un prêt sans véritablement vérifier si son salaire est suffisant. Comme les courtiers sont payés à chaque contrat, ils ont tout intérêt à les multiplier. Par conséquent, le courtier ne regarde pas forcément le salaire de l'emprunteur, pire, il encourage les ménages les plus modestes à souscrire des prêts, quelle que soit leurs revenus.

>> Mieux réguler, ce serait contrôler l'activité des courtiers, les obliger à établir des contrats uniquement si les particuliers sont capables de rembourser.

Etape 2 : Le courtier présente le contrat à un banquier

Une fois que le courtier a établi un contrat (appelé contrat hypothécaire) avec le particulier, il va négocier avec une banque pour obtenir le prêt. Là, deux solutions :
- soit il présente un contrat qui a une garantie publique (si celui qui emprunte ne peut plus rembourser, c'est l'Etat qui paye), dans ce cas, des vérifications sont faites sur le profil de l'emprunteur (a-t-il suffisamment de revenus ?) par des organismes semi-publics (Fannie Mae et Freddie Mac). C'est le cas de 50% des contrats. Une fois ces contrats validés, les banques acceptent de prêter les fonds.
- soit il présente un contrat sans garantie, dans ce cas, c'est à la banque elle-même de faire quelques vérifications. C'est le cas de la moitié des contrats hypothécaires aux Etats-Unis.
Or, on s'est rendu compte que les banques n'ont pas vraiment fait le travail de vérification, en faisant confiance aux courtiers. De même, les organismes semi-publics, Fannie Mae et Freddie Mac, n'ont pas fait toutes les vérifications pour savoir si l'emprunteur avait un salaire suffisamment élevé pour rembourser.

>> Mieux réguler, ce serait contrôler les contrats et obliger les banques à vérifier si l'emprunteur pourra bien rembourser son prêt, et si ce n'est pas le cas, rejeter le contrat. En clair, aux Etats-Unis, on a fait souscrire des emprunts à des pauvres dont on savait qu'ils auraient beaucoup de mal à rembourser. Mieux réguler, c'est mettre fin à cette dérive.

Etape 3 : Le banquier convertit son prêt en titre financier

Le courtier a donc réussi à refiler le contrat hypothécaire, souvent en gonflant les revenus de l'emprunteur pour que ça passe. La banque prête donc la somme à celui qui veut devenir propriétaire. Le banquier, qui travaille à la commission, cherche donc à avoir de plus en plus de contrats, sans trop vérifier. Sauf qu'au bout d'un moment, pour éviter que cela devienne trop risqué (trop de prêts, et pas assez de remboursement), le banquier va essayer de refiler ces contrats et de les vendre sur les marchés boursiers.
Exemple concret : le banquier a un contrat qui stipule qu'il prête 100 000 dollars, et que le particulier rembourse 200 dollars tous les mois. Le banquier va transformer ce contrat en titre qui s'échange : le titre (un simple bout de papier) donne droit au versement de 200 dollars par mois pendant plusieurs années. Pour celui qui achète ce titre, c'est donc une rente, la garantie d'avoir 200 dollars tous les mois. Conclusion, tout le monde est content : le banquier s'est débarrassé de son contrat un peu risqué (il en avait trop) et l'acheteur est content car il va bénéficier d'un revenu mensuel garanti, quant à celui qui a acquis la maison, cela ne change rien pour lui, il doit rembourser tous les mois. Seul problème, le banquier qui délivre les prêts n'est spécialisé dans les marchés boursiers. Il va donc demander de l'aide aux banques d'investissement, comme Lehmann Brothers.


>> Mieux réguler, ce serait obliger les banques à accorder des prêts à des particuliers qui seront bien capables de rembourser. Ces contrats seraient donc solides (peu de risques que les particuliers ne puissent pas rembourser). Ainsi, si ces contrats sont transformés en titre (papier donnant droit au versement mensuel), ces titres ont une valeur solide.

Etape 4 : Les banques d'investissement vendent ces titres sur les marchés financiers

Le banquier a donc accepté les contrats, prêté de l'argent au futur propriétaire, il veut maintenant les transformer en titre échangeable à la bourse. Il va donc demander aux banques d'investissement de s'en charger. Or, ces banques d'investissement ne sont soumises à aucune règle. Elles sont simplement chargées de vendre les titres sur les marchés financiers. Bien évidemment, elles ne sont pas allées vérifier si ces titres étaient solides en partant du principe que la première la banque l'a fait, et que le courtier a fait attention. De toute façon, comme les banques d'investissement ne sont pas contrôlées, elles peuvent mettre sur le marché ce qu'elles veulent.

>> Mieux réguler, ce serait obliger les banques d'investissement à vérifier si les titres qu'elles vont vendre sur les marchés boursiers s'appuient sur des prêts solides, réalistes, que l'emprunteur qui a acquis sa maison pourra bien rembourser.

Etape 5 : Les agences de notation évaluent la valeur de ces titres pour rassurer tout le monde

Vous avez bien suivi jusqu'ici ? Le propriétaire a eu son prêt, le courtier a pris sa commission, la banque a accordé le prêt et refilé le titre aux banques d'investissements qui vont les vendre sur les marchés financiers. Sauf que pour que les actionnaires achètent ces titres, il faut avoir un minimum de garantie, c'est-à-dire savoir si ce ne sont pas des titres bidons.
Or, il y a un dernier acteur qui intervient dans cette longue chaîne, ce sont les "agences de notation", c'est-à-dire des organismes chargés d'évaluer la valeur du titre qui va être vendu. Si le titre est solide (bon contrat, bon prêt, emprunteur certain de rembourser), le titre sera bien noté, et inversement. Sauf que là encore, les agences de notation font ce qu'elles veulent, elles ne sont pas contrôlées. Si elles se trompent, il n'y a aucune conséquence.
Et voilà comment des titres, qui en fait ne sont pas solides, peuvent se retrouver bien notés. Ce sont ces agences de notation qui délivrent en quelques sortes le "tampon" qui prouve que ce titre est un bon placement. Or, à ce niveau, il est impossible pour celui qui achète ce titre financier de remonter toute la chaîne pour savoir si l'emprunteur pourra bien rembourser. L'actionnaire croit donc que le titre a de la valeur, que c'est un placement sûr. Ce sont les "subprimes". Les banques européennes ont mis du temps à comprendre qu'elles avaient acheté ces titres "toxiques", c'est-à-dire des titres qui ne valaient plus rien.

>> Mieux réguler, ce serait vérifier le travail des agences de notation et sanctionner celles qui notent n'importe comment.

Etape 6 : L'emprunteur ne peut plus rembourser, le château de carte s'effondre

Le système fonctionne parfaitement si celui qui a emprunté l'argent rembourse. Mais lorsque les petits propriétaires ne peuvent plus rembourser, tout le système s'effondre. C'est ce qui s'est passé quand la crise s'est déclenchée en juillet 2007. Le marché immobilier a connu une forte baisse (trop de logements, les prix des propriétés ont donc baissé). Les banques qui ont prêté l'argent se sont donc inquiétées et ont demandé aux propriétaires de rembourser davantage. Or, comme ceux-ci étaient déjà en difficulté, ils n'ont pas pu.
A partir de là, tout s'effondre. Si le prêt n'est pas remboursé, le titre qui circule sur les marchés financiers n'a plus aucune valeur. Tout le monde est alors touché : l'actionnaire qui a tous ces titres est ruiné, les banques qui ont acheté ces titres ont des pertes colossales, les banques d'investissement, comme Lehmann Brothers, qui cherchent à vendre ces titres sont en difficulté. Les agences de notation perdent toute crédibilité puisqu'elles ont validé des titres qui, en fait, n'étaient pas solides.
Conséquence : les marchés financiers paniquent, les banques ne se font plus confiance car elles ne savent pas combien les banques partenaires ont récupéré de titres toxiques. Et à partir du moment où l'on n'a plus confiance dans une banque, la chute des valeurs boursières de la banque s'accélère.

Conclusion : Réguler, c'est contrôler chacune de ces étapes

La crise actuelle est donc liée à l'absence de régulation des marchés. A chaque étape, il y a peu ou pas du tout de contrôle. Le courtier délivre un contrat hypothécaire sans se soucier si le particulier pourra rembourser, la banque qui l'accepte ne vérifie pas si son client pourra effectivement rembourser (de toute façon, peu importe, seul compte le nombre de contrats), les banques d'investissement qui transforment ces prêts en titres échangeables sur les marchés financiers ne sont pas elles-mêmes allées vérifier si la première banque avait pris toutes les garanties. Quant aux agences de notation, elles évaluent comme elles peuvent et délivrent des tampons sans savoir vraiment si ces titres sont fiables. Comme de toute façon ces agences de nations ne sont soumises à aucun contrôle, l'erreur n'a pas de grave conséquence. Mais à partir du moment où tout le monde a validé chaque étape, il devient impossible pour celui qui achète ces titres de savoir que ces titres sont risqués.
La régulation des marchés financiers, c'est donc s'assurer que les titres ont de la valeur, s'appuient sur des prêts réalistes, souscrits par des emprunteurs qui pourront effectivement rembourser. L'objectif est de minimiser les risques afin d'éviter de jouer à la roulette russe.

*** Liens

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