Bernard Tapie reçu à l'Elysée : pourquoi la presse ne reprend pas l'information ?

Revue de presse · 17 sep. 2008 à 20:31

Bernard Tapie à l'Elysée

Vendredi 12 septembre 2008, deux jours après son audition devant la commission des finances du parlement, Bernard Tapie a été reçu à l'Elysée. L'ancien ministre de François Mitterrand nie y être allé. Pourtant, deux journalistes affirment l'avoir bien croisé dans les couloirs du palais de l'Elysée : l'une travaille pour le site d'information Bakchich.info, l'autre écrit pour le magazine Challenges. A l'exception de ces deux médias, ainsi que de Rue89 et ArrêtSurImages, aucun organe de presse n'a véritablement repris l'information. Pourquoi cette information n'a-t-elle pas été reprise ? En quoi la présence de Bernard Tapie à l'Elysée est-elle intéressante à plus d'un titre ? Et finalement, que cache le petit mensonge de l'ancien ministre de François Mitterrand ?

Revue de presse du mercredi 17 septembre 2008

- Bakchich.info : Exclusif : Bernard Tapie reçu à l'Elysée
- Challenges : Bernard Tapie a bien été reçu à l'Elysée
- Libération : Daniel Schneidermann est soufflé par le silence des médias sur la visite de Tapie à l'Elysée

Hypothèse 1 : les brèves politiques ne durent pas

L'information selon laquelle Bernard Tapie a bien été reçu à l'Elysée n'aurait pas été reprise par les médias car c'est une brève parmi tant d'autres. Chaque journal ou magazine possède une rubrique "indiscrétions", "brèves" ou "coulisses" qui décrit les moeurs du monde politique. Ce sont toujours de petites brèves, souvent anecdotiques, qui n'appellent pas à plus de développement. Dans un paysage médiatique où une information en chasse une autre à un rythme élevé, certains journaux ont donc pu considérer cette information comme une brève politique banale comme il en existe tant d'autres chaque jour. Les brèves politiques ne durant pas, il apparaît difficile d'en faire un titre de Une.

Hypothèse 2 : la concurrence entre médias interdit la redite

En l'espace de quelques années, le paysage médiatique s'est considérablement renouvelé. La presse papier n'en finit pas de subir les conséquences d'une double révolution de l'information : les journaux gratuits sont venus concurrencer la presse quotidienne nationale payante, les sites d'information indépendants comme Rue89 ou Mediapart ont considérablement élargi l'offre journalistique. Dans ce monde médiatique très concurrentiel, chaque journal ou site d'information se doit d'être original et de publier des informations qu'on ne trouve pas ailleurs. Pour exister, les médias doivent donc lutter contre l'uniformisation de l'information. A force d'entendre les lecteurs se plaindre de lire toujours la même chose, les journaux s'attachent donc quotidiennement à se démarquer du voisin.
Le revers de la médaille de cette vitalité journalistique est la diminution de la circulation de l'information. De nombreux sites d'infos ou journaux rechignent à reprendre l'information du concurrent justement pour éviter de publier la même chose. En conséquence, de nombreuses informations passent totalement inaperçues. Or, la force d'une information est proportionnelle à son impact médiatique : si les journaux ne relaient pas les infos des concurrents, l'opinion peut passer à côté d'une information plus ou mois importante. La présence de Bernard Tapie à l'Elysée entre dans cette catégorie.

Hypothèse 3 : L'affaire Tapie est déjà de l'histoire ancienne

Dans un monde globalisé, où la faillite d'une banque américaine a immédiatement des conséquences sur les bourses européennes et la croissance économique française, l'information va vite et les sources d'informations sont infinies. Dans une course à l'audience et au nombre d'abonnements, les médias traitent donc de plus en plus de sujets. Les citoyens sont assaillis d'informations, l'actualité mondiale se vit en temps réel.
L'affaire Tapie, qui a éclaté pendant l'été et que les médias ont couvert, certes avec retard, mais pendant plusieurs jours, peut donc apparaître comme totalement dépassée. Bernard Tapie a touché un gros chèque de l'Etat, il s'est expliqué auprès de la commission des finances, des conseillers juridiques ont témoigné dans la presse sur les possibilités ou non de recours pour l'Etat. L'essentiel du travail a donc été fait, notamment par Mediapart qui a multiplié les révélations sur l'affaire Tapie. Certains médias peuvent donc considérer que l'affaire Tapie est déjà de l'histoire ancienne dans un monde où l'actualité continue 24h/24 domine.

Hypothèse 4 : Tapie à l'Elysée, et alors ?

Dernière hypothèse qui pourrait expliquer que cette information n'a quasiment pas été reprise dans les médias : elle n'intéresse pas. A partir du moment où l'intéressé lui-même nie et que le conseiller de Nicolas Sarkozy qui l'a reçu est injoignable sur son portable (peut-être faudrait-il essayer de le rappeler ?), que peuvent bien faire les médias ? A part en faire une brève ?
C'est là qu'intervient la différence entre "informations" et "commentaires". A partir du moment où les intéressés refusent de s'exprimer ou nient les faits, le travail du journaliste d'investigation se complique. Un papier consistant ne peut donc être rédigé qu'à partir de suppositions. On sort alors de l'information pour faire de l'analyse ou du commentaire. Bernard Tapie reçu à l'Elysée, et alors ? Sa présence, confirmée par deux journalistes, et son refus de le reconnaître, en disent long sur l'attitude de l'Etat et du pouvoir exécutif dans l'affaire Tapie. Depuis le début, des journalistes soupçonnent Bernard Tapie d'avoir eu des soutiens au plus haut sommet de l'Etat. Nicolas Sarkozy lui-même aurait demandé à Bercy de privilégier une procédure d'arbitrage alors que l'Etat pouvait gagner contre Bernard Tapie en passant par la justice ordinaire. Au lieu de cela, l'Etat a choisi l'arbitrage dont l'issue offre une indemnité record à l'ancien ministre de François Mitterrand. Une fois ses dettes épongées, Bernard Tapie devrait garder entre 120 et 140 millions d'euros et c'est le contribuable qui va payer la note.
Bernard Tapie assure qu'il n'a pas reçu le soutien de l'Elysée et que tout est normal. Soit. Il n'a donc pas reçu le soutien de l'Elysée. Pourtant, il y a bien été vendredi dernier et souhaite visiblement que cela ne se sache pas.

*** Liens

- Le jackpot de Bernard Tapie : une affaire d'Etat à 395 millions d'euros
- Bernard Tapie à Jean-Michel Aphatie : "Vous êtes un connard"

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