Le difficile redécoupage ministériel entre Kouchner, Hortefeux et Alliot-Marie

Enquête · 30 mai 2007 à 18:32

Kouchner, Hortefeux et Alliot-Marie

Le Premier ministre, François Fillon, a présenté en Conseil des ministres les décrets d'attribution des compétences des ministres. Peu de surprise : Alain Juppé est à la tête d'un super ministère du développement durable (environnement, transport, énergie, matières premières, aménagement du territoire), Jean-Louis Borloo récupère un ministère de l'économie, des finances et de l'emploi mais toutes les négociations difficiles avec les partenaires sociaux sont laissées au ministre du travail (service minimum, contrat unique). Eric Woerth garantira tous les comptes, que soit les finances de l'Etat ou les comptes sociaux de la sécurité. Mais c'est le découpage entre le ministère des affaires étrangères, celui de l'Intérieur et celui de l'Immigration qui a été le plus difficile. Retour sur les coulisses d'une lutte acharnée entre Alliot-Marie, Kouchner et Brice Hortefeux.

Kouchner perd une partie de ses attributions

Bernard Kouchner est ministre des affaires étrangères et des affaires européennes. Mais avec la création d'un ministère de l'Immigration et de l'identité nationale, il perd une partie de ses attributions notamment le service des visas et le contrôle de l'asile politique. Ainsi, l'OPFRA (Office français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) et la Commission de recours des réfugiés passent sous la tutelle du ministère de l'Immigration. Ces administrations étaient sous l'autorité du ministère des Affaires étrangères depuis 1952. Les demandes d'Asile politique sont désormais sous la responsabilité du ministère de l'Immigration.

Alliot-Marie est à la tête d'un ministère de l'Intérieur affaibli

Michèle Alliot-Marie est ministre de l'Intérieur. Mais du temps de Sarkozy où il était ministre d'Etat, le ministère de l'Intérieur gérait la politique d'immigration et même l'aménagement du territoire. Cette dernière attribution est dévolue à Alain Juppé, ministre du développement durable. La politique de l'immigration revient à Brice Hortefeux. Si Michèle Alliot-Marie a beaucoup bataillé pour obtenir en compensation l'Outre-mer, elle apparaît fortement encadrée pour mener la politique de sécurité. Dernièrement, Nicolas Sarkozy a nommé des proches aux postes clés, notamment un ami d'enfance, Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale.
Nicolas Sarkozy va également créer un conseil de sécurité nationale sur le modèle américain regroupant les questions de sécurité extérieure et intérieure jusque là traitées uniquement par le ministère de la défense, des affaires étrangères et de l'Intérieur. La sécurité au sens large n'est donc plus du seul ressort du ministère de l'Intérieur.

Brice Hortefeux gère un ministère de l'Immigration aux larges attributions

Briche Hortefeux, ami de 30 ans de Nicolas Sarkozy, rêvait du ministère de l'Intérieur. Finalement, il a obtenu le poste de ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement. La longue dénomination de ce nouveau ministère qui n'existait pas dans les précédents gouvernements montre l'importance de ce poste. Avec ce grand ministère, Brice Hortefeux récupère certaines attributions du ministère de l'Intérieur et du ministère de la Défense. Mais le redécoupage des administrations a été très difficile.

Réfugiés, naturalisation, titres de séjour : des administrations différentes

Brice Hortefeux a récupéré la politique d'immigration dévolue traditionnellement au ministre de l'Intérieur. A ce titre, il a donc récupéré les administrations qui géraient l'entrée des réfugiés politiques, autrefois sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères. Il souhaitait également avoir autorité sur la délivrance de titres de séjour aux étrangers. Mais, historiquement, cette attribution relève du contrôle du territoire, donc du ministère de l'Intérieur. Finalement, Brice Hortefeux et Michèle Alliot-Marie auront une autorité conjointe sur la Direction des libertés publiques.
S'agissant des naturalisations des étrangers, c'est la Direction des populations et des migrations qui s'en charge. Dans le précédent gouvernement, cette administration était sous l'autorité du ministre de la Cohésion sociale. Brice Hortefeux la récupère.

Coopération, francophonie, attribution des visas : des attributions différentes

Brice Hortefeux, en tant que ministre du co-développement, souhaitait également récupérer la francophonie et la coopération. Mais Bernard Kouchner s'est longuement battu pour tenter de préserver certaines de ses prérogatives. Ainsi, la Direction générale de la Coopération internationale et du développement (DGCIF), qui représente 2 milliards de budget par an et 3000 fonctionnaires, devait revenir au ministère de l'Immigration. Finalement, Bernard Kouchner a obtenu gain de gauche et cette administration sera dirigée par les Affaires étrangères. En revanche, l'ambassadeur du co-développement chargé de promouvoir la francophonie passe sous l'autorité du ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale.
Enfin, l'attribution des visas sera déléguée à une autorité commune entre le ministère des Affaires étrangères et celui de d'Immigration.

Le casse-tête des administrations et des ministères

Le redécoupage des ministères a montré la complexité et la multiplication des administrations existantes, la plupart du temps ignorées de la population : Direction générale de la coopération internationale et du développement, direction des libertés publiques, office national français des réfugiés et apatrides, direction des populations et des migrations. A chaque problème, une administration spécifique. Mais ces administrations relevaient de ministères différents alors qu'elles traitaient de problèmes relativement proches.

Avec la création d'un ministère de l'Immigration, Nicolas Sarkozy souhaitait donner plus de cohérence. Mais il n'est pas certain que la nouvelle organisation aboutisse à plus de clarté, les négociations entre Kouchner, Hortefeux et Alliot-Marie ayant entraîné la création d'autorités conjointes. En clair, chacun bataillera dur pour gérer chaque dossier.



*** Sources
- Marie-Christine Tabet, "Le ministère de l'Immigration affirme son identité", Le Figaro, 30 mai 2007
- Arnaud de la grange, "Vers un Conseil de sécurité nationale à la française", Le Figaro, 15 mai 2007
- Dominique Simonnot, "Kouchner se fait dévaliser par l'insatiable Hortefeux", Le Canard Enchaîné, 30 mai 2007
- Didier Hassoux, "La guerre des polices fait rage entre l'Elysée, Matignon et l'Intérieur", Le Canard Enchaîné, 30 mai 2007

*** Liens

- Identité nationale, préférence nationale : un vocabulaire d'extrême droite
- Nicolas Sarkozy a inventé des ministères pour justifier celui de l'identité nationale (vidéo)
- La composition d'un gouvernement d'ouverture, de rupture et de parité
- Les 15 ministres du gouvernement Fillon
- Gouvernement : ceux qui n'y sont pas
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