Les années Giscard d'Estaing
Etant donné les circonstances de la mort soudaine de Pompidou, la campagne allait être brève et les candidatures ont été annoncées dans la plus grande confusion.
A gauche, depuis la signature du programme commun en 1972 entre le Parti Communiste et le Parti Socialiste, François Mitterrand est le candidat naturel. Dès la mort de Pompidou, les communistes se sont ralliés à sa candidature. Mais, en réalité, François Mitterrand aurait préféré que la gauche présente deux candidats pour pouvoir ratisser plus large et éviter d'apparaître comme le candidat d'un Parti Communiste qui peut encore effrayer une partie des électeurs. De ce fait, Mitterrand n'a pas donné sa réponse immédiatement : il a d'abord attendu l'investiture du PS pour bien donner l'impression que les communistes s'étaient ralliés à lui et non l'inverse. Outre François Mitterrand à gauche, deux candidats d'extrême-gauche se présentent : Arlette Laguiller pour Lutte Ouvrière et Alain Krivine pour le Front Communiste Révolutionnaire.
Depuis le début de la Ve République, la droite est divisée en deux camps : les gaullistes avec l'Union pour la Défense de la République (UDR) et les Républicains Indépendants de Giscard d'Estaing. Ce dernier a été ministre des Finances de 1962 à 1966 avant de rompre avec le général De Gaulle et de défendre le « non » au référendum qui a aboutit à la démission du fondateur de la Ve République. Puis, il a retrouvé le ministère des Finances de 1969 à 1974 sous Pompidou. Déjà tenté de se présenter en 1969, Valéry Giscard d'Estaing franchit le pas le 8 avril 1974 en annonçant sa candidature depuis sa mairie de Chamalières dans le Puy-de-Dôme. De son côté, l'UDR décide de soutenir l'ancien premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, considéré comme le mieux placé pour maintenir l'héritage gaulliste par la branche la plus dure des gaullistes de l'UDR qui s'était opposée à Pompidou. Enfin, côté centriste, alors que Jean Lecanuet s'était présenté en 1965, et Alain Poher en 1969, il n'y avait pas de candidat en 1974.
Le déroulement de l'élection de 1974 semble donc clair : il y a un candidat de gauche, François Mitterrand, et deux candidats à droite, un candidat gaulliste et un candidat des Républicains Indépendants. Mais un coup de théâtre a lieu quelques jours après le début de la campagne avec ce qu'on a appelé « l'appel des 43 » : 4 ministres UDR et 39 députés de la majorité ont publié un texte dans lequel ils déplorent la multiplicité des candidatures et demande que tous les candidats déclarés se retirent au profil d'une tierce personne. En réalité, ce texte est un acte de défiance à l'égard du candidat gaulliste désigné : Jacques Chaban-Delmas. Pour une partie des gaullistes, il ne peut incarner l'héritage de De Gaulle puisque son concept de « Nouvelle Société » et sa politique plutôt centriste (ou dite « sociale-démocrate) qu'il avait mené sous Pompidou est contraire à la politque de De Gaulle.
Cet appel des 43 a été orchestré par deux anciens conseillers de Pompidou, désormais au service de Jacques Chirac : Pierre Juillet et Marie-France Garaud. Hostiles à Jacques Chaban-Delmas, tous estimaient que Giscard d'Estaing était moins dangereux pour les principes de la Ve République. Ce texte, signé par 43 gaullistes, a plombé en partie la campagne de Jacques Chaban-Delmas et a été un atout important pour Giscard d'Estaing.
D'après les sondages, François Mitterrand devait arriver en tête au 1er tour du scrutin. Pour la 2ème place, tout devait se jouer à droite entre Chaban-Delmas et Giscard d'Estaing. D'après les premiers sondages, les deux candidats sont au coude à coude, avec 26% des voix chacun. Mais progressivement, Giscard d'Estaing va creuser l'écart. Deux semaines après le début de la campagne, Giscard était déjà accrédité de 31% d'intention de vote contre 18% pour Chaban-Delmas. Cet ascendant de Giscard sur Chaban-Delmas s'explique pour deux raisons. D'abord, dans une élection présidentielle, le rôle de la télévision est primordial. Or, Giscard d'Estaing est manifestement plus charismatique et passe mieux à la télévision que Jacques Chaban-Delmas, qui semble moins à l'aise et dont chaque intervention télévisée se solde par une baisse dans les sondages le lendemain. Mais la deuxième raison de cet effondrement de Jacques Chaban-Delmas, pourtant candidat gaulliste déclaré, tient à son positionnement politique. Avec son programme de « Nouvelle société », son discours centré sur les questions sociales, Chaban-Delmas souhaite rassembler le plus grand nombre. Finalement, il mène une campagne de deuxième tour en tenant un discours plus au centre. Or, sur les questions sociales, le candidat de la gauche, François Mitterrand est bien plus crédible, Chaban-Delmas ne peut donc espérer lui grignoter des voix. En revanche, avec son discours modéré, il perd des voix à droite au profit de Valéry Giscard d'Estaing, qui semble ainsi plus en phase avec la majorité de droite sortante. Par conséquent, Jacques Chaban-Delmas a brouillé son image en adoptant une position social-démocrate alors qu'il aurait du mener une campagne plus conservatrice pour séduire tous les gaullistes bien ancrés à droite.
Les résultats du 1er tour ont confirmé ces tendances : François Mitterrand est arrivé en tête avec 43,2% des voix, Giscard d'Estaing arrive second avec 32,6% des voix et Jacques Chaban-Delmas s'est complètement effondré, ne recueillant que 15,1% des voix.
Le duel François Mitterrand et Valéry Giscard d'Estaing au deuxième tour de la présidentielle s'annonce serré. Dans les sondages, aucun des deux candidats ne se détache. A gauche, Mitterrand tente de s'attirer le soutien de quelques personnalités gaullistes pour récupérer quelques voix. A droite, la stratégie consiste à agiter l'épouvantail de la présence, en cas de victoire de la gauche, de ministres communistes au gouvernement. Le moment fort de la campagne du deuxième tour est le débat télévisé du 10 mai 1974. Ce débat, qui se tient pour la première fois lors d'une élection présidentielle et qui sera traditionnellement reproduit lors des élections suivantes, est suivi par 25 millions de téléspectateurs. Outre le débat d'idées, les deux candidats se sont échangés beaucoup de petites phrases cruelles, Giscard renvoyant Mitterrand à l'image d'un « homme du passé » (Giscard est 10 ans plus jeune) ou lui rappelant que sur les questions sociales, la gauche « n'a pas le monopole du coeur ». Même si ce débat a donné un léger avantage à Giscard d'Estaing, il est difficile d'estimer son réel impact dans les urnes.
Les résultats du second tour ont été extrêmement serrés, Giscard l'emportant avec 50,8% des voix contre 49,2% pour Mitterrand. L'écart n'est donc que de 424 000 voix sur plus de 25 millions exprimées. En analysant le résultat du scrutin, il est difficile de dire précisément ce qui a fait la différence. Il semble que Giscard d'Estaing a bénéficié d'une forte mobilisation de l'opinion puisque les 2/3 des abstentionnistes du 1er tour qui sont allés voter au second tour, ont voté pour Giscard. Vraisembablement, Giscard doit son élection à la mobilisation de l'électorat gaulliste qui craignait la présence de ministres communistes en cas de victoire de François Mitterrand.