Comment l'Etat indemnise les victimes des attentats

Questions d'actualité · 2 mai 2016 à 12:16 · Commentaires 0

13 Novembre 2015

Charlie Hebdo, Hyper Cacher, Montrouge, attaques du 13-Novembre : le nombre de victimes d'attentats terroristes n'a jamais été aussi élevé en France en 2015. Un fonds, créé après les attentats de 1986, est censé indemniser les victimes et les familles de victimes. Baptisé "Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions" (FGTI), ce fonds a récemment fait l'objet de critiques de la part des familles de victimes de Charlie Hebdo. Le problème ? Le manque de communication et de transparence dans les critères retenus pour obtenir une indemnisation.

Un fonds créé en 1986 et alimenté par les contrats d'assurance

Après les attentats de Paris en 1986, l'Etat, sous la pression des associations, a créé un fonds d'indemnisation des victimes de terrorisme. En 1990, le champ de compétence de ce fonds a été élargi aux victimes d'infractions pénales (crime, incendies de véhicules). D'où son nom actuel : "Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions" (FGTI).

Comment est financé ce fonds ? 75% de ses ressources proviennent des contrats d'assurance : 3,30 euros (4,30 euros depuis le 1er janvier 2016) sont prélevés sur chaque contrat. Le reste du fonds est alimenté par le remboursement de certaines de ces indemnités par les auteurs d'infractions et par des placements financiers pour un budget total s'élevant à 406,7 millions d'euros en 2014. Jusqu'à l'année dernière, la part des victimes de terrorisme indemnisée par ce fonds était faible (6,5 millions d'euros sur 256 millions d'euros versés en 2014). Les attentats de 2015 ont tout changé : 2 300 dossiers ont été ouverts après les attentats du 13-Novembre et 350 millions d'euros supplémentaires ont été débloqués pour indemniser les victimes.

Quels sont les critères d'indemnisation ?

C'est le fonds qui prend l'initiative d'entrer aux contacts des victimes. Le FGTI indemnise toute personne, quelle que soit sa nationalité, victime d'acte terroriste sur le sol français et tous les Français victimes d'attentat à l'étranger. L'indemnisation à laquelle peuvent prétendre les victimes ou les familles de victimes prend en compte les préjudices moral, physique et économique (en cas de baisse de revenus liés à la perte d'un emploi par exemple). Mais il n'existe pas de barème d'indemnisation, à la différence de la Grande Bretagne ou de l'Espagne. Un problème ? Pas forcément. Dans les pays où il existe une grille d'indemnisation, le montant des aides est plus faible.

Mais l'absence de barème et le manque de communication du fonds sont parfois mal vécus par les familles de victimes. Et ce d'autant plus que le fonds réclame de nombreux documents pour prouver le préjudice (frais de psychologues par exemple). Ce qui n'est pas forcément facile à vivre pour les victimes : "L'argent ne rachète rien. Mais c'est la seule manière qui existe de réparer le préjudice. Il n'y a là rien d'abject, rien de méprisable. On n'a juste pas trouvé d'autres manières de faire. Mais ces contrôles, les expertises, les justificatifs... C'est extrêmement douloureux", expliquait par exemple à Mediapart, Chloé Verlhac, la femme du dessinateur Tignous, tué dans les locaux de Charlie Hebdo.

45 000 euros pour une veuve avec deux enfants, la même somme pour une femme de 72 ans

Récemment, plusieurs victimes des attentats ont dénoncé le fonctionnement du fonds. Maryse Wolinski, la femme du dessinateur de Charlie Hebdo, a même saisi la justice. Au-delà du manque de communication, c'est l'opacité des critères d'indemnisation retenus qui suscite la colère de familles de victimes. Maryse Wolinski, 72 ans, s'est vu proposer 45 000 euros au titre du préjudice d'affection et 17 000 euros de plus liés à la circonstance du terrorisme. Chloé Verlhac, 37 ans, deux enfants, s'est vu proposer la même somme. Est-ce normal ? De même, le journaliste de Charlie Hebdo, Laurent Léger, n'a pas touché la même somme qu'une autre personne alors que leur situation est identique.

S'agissant de l'indemnisation liée au préjudice patrimonial, le fonds prend également son temps. Maryse Wolinski pourrait toucher 1 million d'euros, mais le fonds souhaite déduire les revenus issus des ouvrages de son mari au cours des cinq dernières années et... des années à venir. Du côté de Chloé Verlhac, le fonds attend qu'elle retrouve un travail pour évaluer le préjudice économique de la perte de son mari qui apportait 80% des revenus du foyer. Trop lent donc. Et dans certains cas, les dossiers s'éternisent : quatre ans après les tueries perpétrées par Mohammed Merah, en 2012, certaines victimes attendent encore d'être indemnisées.

Contacté par Mediapart, le FGTI s'est contenté de préciser qu'il s'agit d'un sujet "compliqué" et que la France a le système d'indemnisation le plus "généreux – même si généreux n'est pas le bon mot" d'Europe.


*** Sources
- "Fonctionnement du FGTI", Fondsdegarantie.fr
- Victoria Masson, "Les victimes des attentats ont reçu les premières aides financières", LeFigaro.fr, 17.11.2015
- Michaël Hadjenberg, "Victimes du terrorisme : vers une indemnisation au rabais ?", Mediapart, 25.04.2016



_____________________________________________________

Je suis Charlie

>> 07.01.2015 : la presse, au lendemain de l'attentat contre Charlie Hebdo

Je suis Charlie

>> Charlie Hebdo, ce sont aussi des enquêtes : qui connaît l'histoire de l'appartement de Manuel Valls ?

Commentaires