Pourquoi le prix du baril de pétrole a-t-il doublé en un an ?

Eco + Net · 6 juin 2008 à 20:10

Baril de pétrole

Après les marins-pêcheurs, les chauffeurs routiers ont pris le relais cette semaine pour protester contre la hausse du prix du gasoil. D'une manière générale, le prix du baril de pétrole a littéralement explosé ces derniers mois, plombant la croissance mondiale et la promesse de Nicolas Sarkozy d'augmenter le pouvoir d'achat. Pour résoudre cette crise du pouvoir d'achat, le président de la République a multiplié les mesures afin d'augmenter le nombre d'heures travaillées par les salariés français. C'est l'application de son slogan de campagne : "travailler plus, pour gagner plus". Mais lorsque l'augmentation des salaires liée aux heures supplémentaires est absorbée par la hausse des prix, le salarié n'a pas l'impression, à juste titre, qu'il y a une amélioration de son pouvoir d'achat. Parmi les dépenses des ménages qui ont littéralement explosé au cours des derniers mois, il y a le prix de l'essence. Le prix du baril de pétrole était de 72 dollars en 2007. Aujourd'hui, il a atteint 130 dollars. Cette hausse s'est répercutée aux prix à la pompe : l'essence Sans Plomb flirte avec les 1,50 € le litre, et le prix du gasoil a quasiment rattrapé celui de l'essence ordinaire. Les foyers sont touchés de plein fouet par cette hausse qui vient plomber le pouvoir d'achat des ménages.


Mais comment expliquer que le prix du baril du pétrole ait doublé en moins d'un an ?

Du pétrole de plus en plus rare, donc de plus en plus cher

Pour expliquer la hausse du prix du baril de pétrole, l'argument qui revient sans cesse dans les médias est celui de l'épuisement des ressources pétrolières à moyen terme. D'ici 50 ans, il n'y aura plus de pétrole. Des énergies alternatives devront être trouvées pour les transports. La production d'hydrocarbure étant amenée à diminuer, le prix du baril de pétrole va constamment augmenter. Les partisans d'une politique de développement durable considèrent d'ailleurs cette hausse comme une chance historique pour inciter les gouvernements à revoir leur politique de croissance afin d'encourager les énergies renouvelables.

Prix du baril de pétrole : +100% en une année ?

Si le raisonnement de la rareté paraît le plus logique, cela n'explique pas l'envolée du prix du baril dans un laps de temps aussi court. Entre 2007 et 2008, la demande en baril de pétrole n'a pas explosé alors que le prix du baril est passé de 70 à 130 dollars. Dans un entretien au journal Le Monde, un responsable de la recherche de matières premières de la Société générale explique que de 2000 à 2006, le volume physique de pétrole a augmenté de 13%. Mais les produits financiers sur le pétrole ont grimpé de 260% : on s'échangerait sur le marché financier des titres équivalent à 30 ou 35 fois le volume du commerce réel de pétrole. En clair, des spéculateurs font grimper les prix des titres indexés sur la production pétrole. Mais quel est le rapport entre la production de pétrole et des titres financiers ?

Quand les financiers s'emparent du pétrole

En quelques années, le capitalisme financier a pénétré tous les secteurs d'activité classique, notamment la production de matières premières, produits agricoles et hydrocarbures. Au départ, il y a des producteurs qui exportent (offre) et des clients qui importent (demande). Le prix du baril du pétrole est censé évoluer en fonction de l'offre et de la demande. Si la production de pétrole baisse et que la demande augmente, alors le prix augmente. C'est l'économie classique.
Mais depuis quelques années, les financiers ont élaboré des produits financiers complexes sur les matières premières : les produits dérivés surnommés "pétrole-papier, cacao-papier ou nickel-papier" se sont généralisés.
Le principe est le suivant : pour éviter d'être soumis à des variations de prix, les producteurs et les clients négocient ce qu'on appelle des "contrats à terme" ou des "futures". Le producteur s'engage à vendre tel produit à tel prix dans 2 ans à tel acheteur. Cette "commande" devient un titre financier. Si avant l'échéance du contrat, l'acheteur potentiel décide de revendre son contrat sur les marchés financiers, il le peut. Et voilà comment les marchés dérivés ont transformé des produits essentiels (pétrole, riz, blé) en actifs financiers comme les autres.
Aujourd'hui, sur les marchés financiers, on s'échangerait donc en pétrole-papier plus de 35 fois le volume réel des échanges de baril.

Pétrole : un marché financier très opaque

Le fonctionnement du marché financier qui gère les titres liés au pétrole est très opaque. Certains économistes soupçonnent les spéculateurs de faire circuler de fausses informations, notamment sur les réserves de pétrole ou les perspectives du marché, pour faire grimper les titres artificiellement. Aujourd'hui, le marché pétrolier est complètement déconnecté de la réalité de l'offre et de la demande de barils de pétrole.
Aujourd'hui, Genève est sur le point de dépasser Londres dans le négoce des matières premières, et notamment du pétrole. Dans la cité helvétique, il existe environ 300 sociétés de trading employant près de 6 000 personnes. Genève traite par exemple 75% du commerce de pétrole en provenance de Russie. Selon Le Monde de l'Economie, le chiffre d'affaires annuel de ces sociétés dépasserait les 300 milliards d'euros. La spéculation sur les produits pétroliers profite donc à ces sociétés de trading, qui seraient même en manque de traders qualifiés pour faire face à leur surcharge de travail. Ainsi, à Genève, vient de s'ouvrir une formation en trading international en partenariat avec l'université de Genève.

Quand les cours des matières premières sont truqués...

Si l'augmentation du prix du pétrole est la plus spectaculaire au cours des 12 derniers mois, ce sont toutes les matières premières qui sont touchées par la hausse des cours. Et à chaque fois, même si l'insuffisance de la production peut expliquer en partie la hausse des prix, on recroise des spéculateurs qui vendent et achètent des contrats à terme uniquement dans le but de réaliser des plus-values rapides. Parfois, la hausse artificielle des titres est liée à un trucage volontaire des marchés. C'est le cas par exemple du fonds spéculatif le plus important au monde (1 milliard de dollars d'actifs). Ce fonds aurait tenté de raréfier notamment du cuivre et de l'aluminium. En 2006, il aurait même détenu 90% des stocks mondiaux d'aluminium dans des hangars pour organiser une pénurie artificielle et faire ainsi augmenter les cours.


Quoi qu'il en soit, l'épuisement des ressources pétrolières est irréversible et va conduire à une hausse continue du prix du baril de pétrole. Mais de toute évidence, les spéculateurs et la transformation des produits pétroliers en actifs financiers ont accéléré cette hausse.



*** Sources
- Hugo Lattard, "Pourquoi le baril de pétrole vaut 100 dollars", L'Expansion, 27 février 2008
- Adrien de Tricornot, "Des marchés opaques de plus en plus financiarisés", Le Monde de l'économie, 3 juin 2008
- Agathe Duparc, "A Genève, silence radio chez les traders", Le Monde de l'économie, 3 juin 2008

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