Qu'est-ce que l'affaire Battisti ?

Questions d'actualité · 28 mar. 2007 à 16:37

Battisti

Le 18 mars dernier, Cesare Battisti a été arrêté au Brésil par la police, après bientôt quatre ans de clandestinité. A moins de deux mois de l'élection présidentielle, l'ancien ministre de l'Intérieur et candidat de l'UMP, Nicolas Sarkozy, a été accusé par ses opposants d'avoir voulu faire un « coup électoral » en provoquant lui-même l'arrestation du fugitif. Il s'en est défendu en déclarant qu'« il y a une entraide judiciaire, il y a un mandat d'arrêt international. Fallait-il que la police française refuse de collaborer avec la justice internationale et avec Interpol? ». Cette affaire embarrasse également la gauche. Ségolène Royal a botté en touche en déclarant que c'était désormais une affaire italienne. Mais qu'est-ce que l'affaire Battisti ?

Qui est Cesare Battisti ?

Cesare Battisti est un communiste, qui a fait parti d'un groupe révolutionnaire armé d'Italie pendant les années de plomb. Au cours de l'attaque d'une bijouterie, quatre meurtres sont commis. Il est accusé d'avoir participé à ces crimes. Il est alors condamné en 1996, par contumace, par la justice italienne à la prison à perpétuité. Mais, avant cette condamnation, Cesare Battisti s'est installé en France et a écrit des romans policiers. François Mitterrand, alors président de la République, a passé un accord verbal avec l'Italie le 21 avril 1985, permettant à quelques centaines de réfugiés italiens non responsables de crimes de sang, de demeurer sur le territoire français. Grâce à cet accord, Battisti a donc échappé à une première demande d'extradition. Mais, en 2001, Silvio Berlusconi fait une nouvelle demande, de nouveau rejetée. Le 10 février 2004, Cesare Battisti est incarcéré à la demande de la justice italienne dans une prison française. Finalement, il est remis en liberté le 3 mars par la chambre de l'instruction et placé sous simple contrôle judiciaire. Le 2 juillet 2004, Jacques Chirac, lors d'un sommet franco-italien, déclare à Silvio Berlusconi qu'il était « du devoir de la France de répondre à une demande d'extradition ». Effectivement, la Cour d'appel de Paris approuve l'extradition souhaitée par l'Italie en août 2004. Battisti est donc placé sous contrôle judiciaire, mais parvient à échapper à la police et entre en clandestinité.

Le 18 mars 2007, il est retrouvé et arrêté au Brésil.

La promesse de Mitterrand

En 1985, le président François Mitterrand s'était engagé à ne pas extrader les anciens militants italiens d'extrême-gauche ayant rompu avec leur passé des « années de plomb » (agitation violente des années 1970-1980 en Italie). C'est au Palais des sports de Rennes, le 1er février 1985, que le chef de l'Etat a fait un discours garantissant la protection aux activistes italiens hormis ceux coupables de « terrorisme actif, réel, sanglant ». Ainsi, durant près de vingt ans, les anciens activistes italiens ont pu bénéficier de ce refuge en France et ne pas être extradés dans leur pays.
Néanmoins, en 2004, Jacques Chirac est revenu sur cette promesse et comme nombre de détracteurs de cet engagement, a démontré que cette promesse orale, et énoncée par un chef de l'Etat, n'a aucune valeur juridique. Le Conseil d'État d'ailleurs confirme l'invalidité juridique de la cette promesse et ne s'oppose pas à l'extradition de Battisti.

Le rôle des intellectuels de gauche dans l'affaire Battisti

De nombreux intellectuels de gauche (Bernard Henri Lévy, et surtout l'auteur de polars à succès, Fred Vargas) ont défendu Battisti et les militants révolutionnaires italiens en général en dénonçant les aléas de la justice française et ont remis en cause la parole donnée des hommes politiques. Néanmoins, ces intellectuels sont montrés du doigt : leurs détracteurs les accusent d'être coupables de défendre des criminels.

Cesare Battisti va-t-il être extradé ?

Au lendemain de son arrestation, la justice italienne a déjà lancé la procédure d'extradition de Cesare Battisti, souhaitant que cela se fasse le plus rapidement possible. La Cour européenne des droits de l'Homme a déclaré irrecevable la plainte de Battisti contre le décret français d'extradition qui le frappe depuis octobre 2004, et ce malgré la promesse de François Mitterrand. C'était le dernier recours juridique sur lequel pouvait compter l'ex-activiste. La gauche, ainsi que François Bayrou souhaitent que le procès soit révisé et se fasse en présence de l'ancien activiste. Or, il est question que Battisti aille mis en prison sans nouveau procès.

L'affaire Battisti s'invite dans la campagne présidentielle

L'affaire Battisti est relancée à quelques semaines du premier tour et oppose les candidats de gauche et de droite. Nicolas Sarkozy est très clair : on ne peut l'accuser de s'opposer par principe à la gauche puisque l'Italie est gouvernée par Romano Prodi (politique de gauche). François Bayrou souhaite que Battisti soit de nouveau jugé en Italie pour obtenir un jugement équitable. Jean-Marie Le Pen a une position aussi bien définie : Cesare Battisti doit être extradé parce que la France ne doit défendre un « terroriste » et un « assassin ».

A gauche, les positions sont moins homogènes. Il y a trois ans, François Hollande avait rendu visite à Cesare Battisti en prison pour lui apporter son soutien face à la demande d'extradition. Aujourd'hui, le PS semble approuver le gouvernement Prodi et a donc remis en cause la fameuse « doctrine Mitterrand » et Vincent Peillon d'expliquer, au nom du PS : « nous sommes dans une logique de convention européenne des droits de l'homme où nous préférons qu'il puisse y avoir des procès en présence de l'accusé ». Quant à Ségolène Royal, elle estime que cette affaire ne concerne plus la France, mais que c'« est une affaire entre le Brésil et l'Italie ». Certains socialistes, comme Manuel Valls, se réjouissent même de cette arrestation et n'accréditent pas les actions criminelles des activistes italiens : « Les terroristes de tout bord ne peuvent être considérés comme faisant partie de la famille de la gauche démocratique ». De son côté, Dominique Strauss-Kahn, qui s'éloigne de plus en plus du PS, a déclaré : « j'invite les Italiens à rendre ce procès possible, même s'il faut faire évoluer la législation. Mais dans l'intervalle, Cesare Battisti ne doit pas être extradé ». Bertrand Delanoë est d'accord avec DSK et estime qu'il faut respecter « la parole donnée par la France » aux anciens activistes italiens. Enfin, le député Vert, Noël Mamère, la LCR et José Bové se sont indignés de l'extradition de Battisti vers l'Italie dénonçant ainsi le fait que la France n'a pas tenu ses engagements.

*** Sources

Articles de presse
- Philippe Broussard, "Italie, les certitudes de la justice", L'Express, 21 mars 2007
- Ariane Chemin, "Pour Ségolène Royal, l'affaire ne concerne plus la France", Le Monde, 21 mars 2007

Bibliographie favorable à Battisti
- Fred Vargas, La Vérité sur Cesare Battisti, Viviane Hamy, 2004
- Cesare Battisti, Fred Vargas et Bernard Henri-Lévy, Ma Cavale, Grasset et Fasquelle, 2006

Pamphlet contre Battisti et les intellectuels de gauche
- Guillaume Perrault, Génération Battisti : Ils ne voulaient pas savoir, Plon, 2005

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